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- Lutte ouvrière n°2455
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Editorial
La crise dans la filière du porc : les dégâts collatéraux de l’économie de marché
« La crise du porc », titrent des journaux en ce début de semaine. Les malheureux animaux destinés à l’abattage n’y sont évidemment pour rien. Les sursauts de colère qui expriment les oppositions d’intérêts entre agriculteurs et capitalistes des industries agroalimentaires ou de la grande distribution rebondissent cette fois dans le secteur de la production et de la commercialisation de la viande de porc. La cause immédiate du mécontentement des éleveurs réside dans le refus des deux principaux industriels du secteur de leur acheter les porcs à un prix leur permettant de rentrer dans leurs frais et de dégager un revenu qui leur convienne. Le conflit oppose aussi les éleveurs à l’État, incapable même d’imposer le compromis sur les prix qu’il avait proposé.
Ce qui se passe dans l’agriculture concerne les classes exploitées des villes, et avant tout la classe ouvrière. Les salariés, les chômeurs et les retraités, en tant que consommateurs, ne peuvent pas accepter que la guerre des prix des produits alimentaires se traduise par des hausses à la consommation, alors que l’étendue du chômage, le blocage des salaires et des retraites, les prélèvements croissants de l’État démolissent déjà leur pouvoir d’achat. Mais aussi, pour des raisons politiques. De quel côté doivent aller notre sympathie et notre solidarité ?
Certainement pas du côté des capitalistes de l’agroalimentaire ou des grandes chaînes de distribution, ennemis directs des exploités. Les bénéfices encaissés par les propriétaires et actionnaires de ces entreprises proviennent fondamentalement de l’exploitation des travailleurs de ce secteur, parmi les plus infects aussi bien pour les salaires que pour les conditions de travail. Mais, lorsque le rapport des forces le leur permet, les capitalistes du secteur complètent leur bénéfice au détriment de leurs petits fournisseurs du monde paysan : producteurs de viande, de lait, de fruits ou de légumes parmi d’autres.
La solidarité des exploités doit aller à ceux des paysans qui vivent de leur propre travail sans exploiter personne, qui se font voler par les banques, les capitalistes de l’industrie et de la distribution, et gruger par l’État. Ce dernier prétend jouer les arbitres, mais il prend parti pour le grand capital.
Le secteur agricole lui-même est cependant dominé par une minorité de capitalistes, qui s’enrichissent en exploitant les ouvriers agricoles. La hausse des prix à la production, qui est une question de survie pour les petits paysans, est en même temps une source de bénéfice supplémentaire pour les plus gros. Les luttes, même radicales, des petits paysans au fil des décennies ont toujours profité en dernier ressort aux plus riches de l’agriculture et ont conduit à une concentration croissante des exploitations agricoles et à la disparition des plus petites.
Là est le piège fondamental pour les petits paysans, qui ont un pied dans le monde du travail et l’autre dans le monde patronal. L’économie de marché et la concurrence les broient, mais ils ne voient leur avenir que dans cette économie. La défense de leur propriété individuelle est le b.a.-ba de leurs convictions sociales. Ils s’endettent pour investir dans des équipements et machines de plus en plus coûteux afin d’être compétitifs. Mais, ce faisant, ils se passent eux-mêmes le nœud coulant tenu par les banques et enrichissent au passage les capitalistes fabricants de ces équipements. Le résultat de toute cette évolution est, pour les paysans, l’éviction des campagnes de nombre d’entre eux. Et, pour l’ensemble de la société, qu’on parle périodiquement de surproduction de viande, de lait, de fruits ou de légumes, alors que, même ici en France, un nombre croissant de personnes ne se nourrissent pas convenablement et que, sur la majeure partie de la planète, les classes pauvres sont sous-alimentées ou meurent de faim.
La paysannerie, avec ses rêves de consolider la petite propriété en conciliant ses intérêts et ceux des prédateurs du grand capital, n’a aucune solution à une évolution dont elle est pourtant victime. La seule classe sociale qui peut offrir la perspective d’un autre avenir pour la société est la classe ouvrière, la classe de ceux qu’aucun intérêt ne lie à l’organisation capitaliste de la société, à l’économie du marché, à la concurrence, à la propriété privée des moyens de production. La seule qui a la capacité de reprendre le combat du mouvement ouvrier pour le changement révolutionnaire de la société. À condition d’en retrouver la conscience.
La « crise du porc » est une des expressions, et il y en a une infinité d’autres, et de bien plus graves, de l’aberration et de l’injustice de l’organisation capitaliste de l’économie et de la société.
Éditorial des bulletins d’entreprise du 17 août 2015