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Afrique du Sud : les morts de Marikana toujours dans la mémoire collective
Il aura fallu trois mois au gouvernement sud-africain pour se résoudre à publier le rapport de la commission Farlam, chargée d’enquêter sur les circonstances dans lesquelles 34 grévistes avaient été abattus par la police à la mine de platine de Lonmin, à Marikana, le 16 août 2012.
Pourtant, ce rapport n’a rien d’explosif. Car, pour l’essentiel, il se contente de proposer un supplément d’enquête, renvoyant dos à dos la prétendue violence des grévistes, l’incapacité des syndicats à les contrôler, celle de Lonmin à protéger son personnel et, enfin, l’incompétence des cadres locaux et régionaux de la police.
Mais, si ce rapport a causé tant d’embarras dans les hautes sphères de l’ANC – le Congrès national africain au pouvoir – c’est en partie bien sûr parce qu’il fait ressurgir un sujet brûlant – si brûlant qu’à l’époque il avait entraîné la plus longue vague de grèves qu’ait connue le secteur minier du pays – et en partie parce que ses 646 pages contiennent en fait bien plus que des conclusions hypocrites emballées dans un verbiage juridique.
Car on y trouve, étalés sur des dizaines de pages, les mensonges éhontés des plus hauts dignitaires militaro-policiers tentant de dissimuler leur responsabilité et celle de leurs sbires. Des dizaines de témoignages y illustrent également, de la façon la plus crue, comment les puissances d’argent, les politiciens et les hommes forts de l’État font cause commune contre les pauvres, et avec quel mépris ! Bref, il offre un instantané saisissant de la corruption qui s’est installée en Afrique du Sud sous le règne de l’ANC.
L’une des vedettes de ce rapport est en particulier Cyril Ramaphosa, depuis peu promu à la vice-présidence et héritier probable de Jacob Zuma à la présidence. Ancien fondateur du syndicat des mineurs, Ramaphosa est devenu après la fin de l’apartheid l’un des hommes les plus riches du pays. À l’époque du massacre, il siégeait au conseil d’administration de Lonmin, dont il contrôlait 8 % des actions.
Le rapport Farlam détaille comment Ramaphosa, en accord avec les responsables de Lonmin, a usé de son influence au sein de l’ANC pour que le gouvernement traite la grève de Marikana en entreprise criminelle, puis comment il a pesé de tout son poids sur les autorités policières locales, la veille même du massacre, pour qu’elles y mettent fin dans les plus brefs délais, en y mettant « tous les moyens nécessaires ».
Bien sûr, suivant sa propre logique, le rapport Farlam exonère Ramaphosa de toute responsabilité dans le massacre, notant qu’il n’y a rien d’anormal à ce qu’un actionnaire de Lonmin se serve de ses relations politiques pour mettre fin à une grève qui dessert ses intérêts. Non, cela n’a rien d’anormal dans un monde pourri par l’avidité d’une bourgeoisie qui ne recule devant aucun massacre pour défendre ses profits.
Raison d’État oblige, ce rapport ne pouvait qu’être hypocrite dans ses conclusions. Mais ce n’est pas pour rien s’il s’est répandu très rapidement dans la population dès sa parution. Car, pour qui sait lire entre les lignes, c’est une condamnation sans appel de cette société sud-africaine où la majorité de la population vit dans une violence quotidienne nourrie de la pauvreté et où chaque manifestation, chaque grève, se traduit invariablement par des morts dans les rangs des pauvres.