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Leur société
À propos du Mémorial ACTe : trois siècles de traite des Noirs
Article de Combat Ouvrier, organisation communiste révolutionnaire des Antilles (UCI).
Le Mémorial ACTe est un grand et très beau bâtiment érigé à Pointe-à-Pitre dans le quartier dit du Carénage, face à la mer. Il sera un centre caribéen d’expression de la mémoire de la traite et de l’esclavage. Il rappellera à tous que des millions d’Africains ont été jetés dans les cales des navires négriers pendant près de trois siècles, puis vendus sur les marchés d’esclaves des États-Unis, des Antilles, de l’Amérique latine, en particulier du Brésil. Ces esclaves sont les ancêtres des peuples noirs des Amériques, de toutes les Amériques.
(…) Depuis plusieurs mois, on assiste à des polémiques interminables autour de ce bâtiment, venant de la droite locale mais aussi d’un certain nombre d’organisations et de personnalités, nationalistes ou pas. Le bâtiment aurait coûté trop cher (83 millions d’euros), son entretien devrait aussi coûter trop cher, c’est ce qu’à dit Marie-Luce Penchard, ex-ministre UMP de l’Outre-mer. Certaines personnes enfourchent aussi ce même cheval de bataille. D’autres personnalités critiquent par jalousie, tout simplement parce qu’elles n’ont pas été contactées ni associées au projet. Toutes ces critiques sont stupides. Pour une fois qu’un grand projet est associé à l’histoire de la traite et de l’esclavage des Noirs, elles sont bien mal venues. (…) Reinette et le CIPN (Comité international des peuples noirs) et d’autres nationalistes refusent de participer à l’inauguration parce que le président du conseil régional de Guadeloupe, Victorin Lurel, s’oppose aux réparations réclamées pour les peuples issus de l’histoire esclavagiste.
Mais la question des réparations est un autre problème ! À Combat Ouvrier, nous n’y sommes pas favorables ! D’une part, parce que le coût de ces réparations est incommensurable. D’autre part, parce que c’est la lutte des exploités noirs et de toutes couleurs, pour une autre société débarrassée du capitalisme, qui permettra de récupérer tout ce qui a été volé, pillé par les classes dominantes, en particulier la bourgeoisie. Et les travailleurs, ces esclaves modernes, devront récupérer toutes les richesses accumulées sur leur sang et leur sueur au profit d’une minorité d’exploiteurs. Une fois récupérées, ces richesses seront utilisées pour satisfaire les besoins de la majorité de l’humanité.
Certes, les chefs d’État africains ou de la Caraïbe, Lurel lui-même et Hollande, qui seront tous là pour l’inauguration, sont les défenseurs d’un système social et politique capitaliste qui dans le passé a organisé l’esclavage pour son accumulation primitive de richesses. Ils ne sont certes pas les mieux placés, loin s’en faut, pour incarner le souvenir et l’histoire de l’esclavage. Mais il faut dissocier le Mémorial ACTe de ce que sont ces dirigeants. Trois siècles de traite et d’esclavage, des millions d’hommes déportés d’Afrique vers les Amériques, des millions d’autres victimes d’un véritable génocide, victimes du système esclavagiste et ses horreurs, méritent bien enfin ce mémorial. Comme le mérite la formidable révolution victorieuse des esclaves d’Haïti, qui ont vaincu les meilleures armées napoléoniennes, ont arraché leur indépendance et éradiqué l’esclavage.
Si ce monument peut servir à éclairer les générations présentes et futures sur ce qu’a été l’esclavage des Noirs, c’est une bonne chose. Et qu’on ne nous dise pas que l’on parle trop de l’esclavage. On n’en parle pas assez au contraire. On ne connaît pas suffisamment son histoire, celle des révoltes incessantes par exemple. Elle n’est pas suffisamment enseignée à l’école. Des épisodes d’une importance considérable ne sont pas connus de la population, comme les grandes révoltes des esclaves de Martinique, de Guadeloupe, d’Haïti. Le pouvoir colonial a toujours voulu masquer voire interdire l’histoire de l’esclavage. Et le colonialisme a tellement bien réussi à aliéner les esprits que pas plus tard qu’il y a deux ans, en Guadeloupe, une proviseure de lycée, noire, guadeloupéenne, interdisait aux élèves d’aller voir le film 12 years a slave, sous prétexte que cela pourrait entraîner des violences contre les Blancs ! Aujourd’hui, la traite et l’esclavage ne sont pratiquement pas enseignés à l’école et au lycée.
Il ne s’agit pas là de donner dans un quelconque dolorisme masochiste éternel, mais d’enrichir la connaissance de l’histoire pour mieux comprendre le présent, les mœurs et la psychologie des peuples africains et antillais d’aujourd’hui. Quel qu’ait été le coût du Mémorial ACTe il est important qu’un tel lieu existe et rayonne à travers la Caraïbe, l’Afrique et le monde.