Russie : l’assassinat de Nemtsov, opposant à Poutine mais pas aux oligarques qui dominent le pays04/03/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/03/2431.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : l’assassinat de Nemtsov, opposant à Poutine mais pas aux oligarques qui dominent le pays

Figure de l’opposition russe dite libérale, Boris Nemtsov a été abattu en plein Moscou, dans la nuit du 27 février. Comme il s’agit d’une personnalité notoirement critique de la politique de Poutine en Ukraine, cela a donné un certain retentissement à son assassinat. Mais ce n’est pas la première fois qu’un crime politique a lieu dans ce pays, où le recours à des tueurs et aux méthodes de gangsters pour intimider ou éliminer des militants, des syndicalistes, des avocats, des journalistes, n’a rien d’exceptionnel.

Après avoir été membre du Soviet suprême de l’URSS sous Gorbatchev, Nemtsov fut nommé gouverneur de région en 1991 par Eltsine, premier président de la Russie postsoviétique. Devenu vice-Premier ministre en 1997, il était un représentant en vue de la génération des bureaucrates qui avaient mis en œuvre une thérapie de choc pour la Russie d’alors.

Tandis que les clans au pouvoir faisaient main basse sur les secteurs rentables de l’économie et que les bureaucrates affairistes étalaient au grand jour leur nouvelle richesse, la population avait vu son niveau de vie s’effondrer brutalement. En 1998, un krach financier retentissant acheva de discréditer les dirigeants qui avaient conduit ces réformes. Eltsine, qui cherchait alors un successeur qui lui permette d’échapper à un procès pour d’énormes détournements de fonds, choisit, à la place des héritiers pressentis dont Nemtsov faisait partie, un homme peu connu, Poutine.

Écarté, Nemtsov devint un opposant de celui qu’on lui avait préféré. Il participa à diverses tentatives de créer un parti d’opposition qui s’appuie sur la petite bourgeoisie libérale, sans qu’aucune ne parvienne à attirer une fraction notable de la population. En 2006, après la « révolution orange » à Kiev, le président ukrainien Iouchtchenko le prit comme conseiller. Et, juste avant d’être assassiné, Nemtsov venait d’appeler à une manifestation « anticrise » qui devait avoir lieu le 1er mars, pour dénoncer « l’agression de Poutine » en Ukraine comme étant à l’origine de la crise économique que subit la Russie.

Ses prises de position avaient fait de lui une cible de la propagande chauvine qui accompagne la politique extérieure du Kremlin. Évoquant le courant auquel appartenait Nemtsov, Poutine a parlé de la présence d’une « cinquième colonne » dans le pays. Cette propagande, les médias la relaient quand ils s’en prennent aux « traîtres nationaux » qui voudraient brader les intérêts russes. Du coup, certains avancent l’hypothèse que cet assassinat aurait été commandité, sinon par le pouvoir, en tout cas par des nationalistes se sentant libres d’agir. Mais, en Russie même, beaucoup soutiennent une autre version. Les partisans de Poutine parlent de provocation visant à déstabiliser le pays. Un responsable du Parti communiste affirme qu’il s’agit de « relancer l’hystérie antirusse à l’étranger ». Et, malgré la manifestation de deuil pour Nemtsov, relativement importante à Moscou, l’opposition libérale semble bien faible, tandis que la popularité de Poutine a grimpé depuis le début de la crise en Ukraine.

À la fin de l’Union soviétique, une partie de la bureaucratie et la petite bourgeoisie avaient rêvé que s’instaure un système où capitalisme rimerait avec démocratie à l’occidentale. Mais l’effondrement économique généralisé, le chaos politique et les risques d’explosion sociale ont finalement accouché du régime de Poutine. Alors, l’enrichissement des clans au pouvoir se poursuit, les fortunes personnelles s’accumulent sur des comptes off-shore, sauf que la propriété des riches n’est toujours pas assurée de plein droit. Elle dépend du bon vouloir de l’appareil étatique et gouvernemental, aujourd’hui dirigé par un Poutine qui a rétabli l’autorité de l’État dans l’intérêt bien compris de ces privilégiés.

Sans se douter, évidemment, que cela puisse un jour lui servir d’épitaphe, Nemtsov avait ainsi défini la Russie, en 2005 : « Quel est le principe de la verticale du pouvoir créée par Poutine ? On peut voler, prendre des pots-de-vin, tuer des gens dans des accidents de la circulation. Ce n’est pas un problème, du moment qu’on reste obéissant et loyal au pouvoir. »

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