États-Unis – février 1965 : l’assassinat de Malcolm X04/03/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/03/2431.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis – février 1965 : l’assassinat de Malcolm X

C’est à Harlem (New York), en pleine réunion publique de l’Organisation de l’unité afro-américaine qu’il venait de fonder, que Malcolm X, prenant la parole, fut abattu de 21 balles en février 1965. Il avait quarante ans et militait depuis dix-sept ans contre l’oppression des Noirs américains.

Après avoir volé, cambriolé, racketté, prostitué des filles, vendu et consommé de la drogue dans sa jeunesse, Malcolm Little changea en prison. Emprisonné en 1946, il se mit à dévorer les livres de la bibliothèque de la prison de Boston et y subit des influences changeant radicalement sa vie. Plusieurs de ses frères et sœurs lui écrivirent pour le gagner aux idées de la Nation of Islam (musulmans noirs), un groupe qui gagnait de l’influence dans les ghettos noirs du Nord, à l’époque où un nombre croissant de Noirs n’acceptaient plus de subir le racisme.

Le mouvement ouvrier délaisse les Noirs

Les prolétaires noirs, qui affluaient alors dans les grandes villes industrielles du Nord pour trouver du travail, étaient à cette époque laissés à l’écart des puissants syndicats américains par des bureaucrates qui préféraient ne pas lutter contre les préjugés racistes des Blancs, voire les encourageaient, plutôt que de lutter pour l’unité de la classe ouvrière. Le Parti communiste, qui avait un temps milité contre la ségrégation et fait élire des communistes noirs à Harlem, s’était détourné du combat pour l’égalité raciale pendant la Seconde Guerre mondiale, au nom de l’unité avec la bourgeoisie américaine, alliée de l’URSS contre l’Allemagne nazie. Ce qui poussa les plus révoltés et les plus militants des Noirs à s’organiser à part, sur des bases communautaires.

Une idéologie religieuse censée rendre leur fierté aux révoltés

Organisation politico-religieuse, la Nation of Islam professait la religion du Coran, censée représenter la vraie religion des Noirs arrachés à l’Afrique par les esclavagistes et sommés de devenir chrétiens après avoir été déportés en Amérique. Son idée principale était de rendre leur fierté aux Noirs, en prenant le contrepied des valeurs de l’Amérique des « démons blancs ». Les musulmans noirs réprouvaient leur nom de famille, très souvent hérité du propriétaire blanc qui avait maintenu leurs aïeux en esclavage. À 23 ans, en prison, Malcom Little devint ainsi Malcolm X en 1948.

À sa libération, en 1952, il devint un militant dévoué de la Nation of Islam. Il aida les sections locales, dénommées temples, à se construire dans les ghettos noirs des villes du Nord. Reflet de la combativité grandissante des Noirs américains, cette organisation grandit rapidement, passant de quelques centaines de membres à plusieurs dizaines de milliers en quelques années. En 1954, Malcolm X prit la direction du temple numéro 7 de Harlem.

En 1957, la police de New York arrêta et tabassa sévèrement un musulman noir. Dans les heures qui suivirent, Malcolm X et ses militants mobilisèrent jusqu’à 4 000 personnes devant le commissariat de Harlem. Ils obtinrent que le prisonnier reçoive des soins à l’hôpital. Malcolm X devint une figure publique : orateur de premier ordre, il fut invité à la radio et même à la télévision. Il commença aussi à faire l’objet d’une surveillance policière infiltrée.

Les musulmans noirs s’opposaient au reste du mouvement des droits civiques, car ils ne voulaient pas l’intégration des Noirs dans l’Amérique blanche, mais une séparation. Ils ne revendiquaient pas le droit de vote, mais un État séparé, prélude à un retour en Afrique. Ils critiquaient la non-violence prêchée par Marin Luther King et se voulaient prêts à rendre coup pour coup aux racistes.

Au moment où la police lâchait ses chiens sur des manifestants pacifiques réclamant l’égalité, où des militants noirs étaient assassinés, nombre de jeunes se radicalisaient au début des années 1960 et voyaient les musulmans noirs avec sympathie.

L’impasse du nationalisme

Quand le président Kennedy fut assassiné en novembre 1963, Malcom X ne prit pas part au deuil national. Il laissa au contraire entendre aux médias que Kennedy, qui laissait la violence s’abattre sur les Noirs, l’avait bien cherché. Il fut désavoué par Elijah Muhammad, le dirigeant de la Nation of Islam, qui le suspendit.

En fait, derrière le radicalisme affiché des musulmans noirs, leur idéologie politico-religieuse n’excluait pas la recherche d’un compromis avec l’État américain. Revendiquer avant tout la séparation d’avec les Blancs était aussi dire que, de son côté, la bourgeoisie blanche et son État pouvaient opprimer les travailleurs blancs, à condition de laisser la petite bourgeoisie noire construire son propre pouvoir et en faire autant avec les travailleurs noirs. Le nationalisme des musulmans noirs les amenait à revendiquer que, dans les quartiers noirs, il n’y ait que des black businesses, des commerces et des entreprises appartenant à des Noirs, et que l’argent de la communauté noire revienne avant tout aux patrons noirs.

À partir du moment où il fut écarté de la Nation of Islam, qu’il quitta complètement quelques mois plus tard, Malcolm X fut isolé et chercha son chemin politique. Son nationalisme le poussa à faire un voyage en Afrique, pour voir de ses yeux les pays africains nouvellement indépendants et rencontrer les dirigeants nationalistes qui avaient mené des luttes anticoloniales radicales. Sa religiosité le poussa à faire le pèlerinage de la Mecque, où priaient des musulmans de toutes origines. Il en revint aux États-Unis avec l’idée qu’il pouvait mener un combat commun avec des Blancs.

Malcolm X condamna alors le « capitalisme noir » promu par son ancien parti, car « le capitalisme ne peut pas exister sans racisme », et prit la parole dans des meetings du Socialist Workers Party trotskyste. En même temps, la nouvelle organisation qu’il fonda se réclama de la charte des Nations unies et de l’application de la Constitution américaine censée garantir la liberté et la démocratie. Il se rapprocha de Martin Luther King et expliqua que, si l’État américain ne voulait pas affronter les balles des révoltés noirs, il devait leur donner le droit de vote.

Où aurait mené le chemin politique de ce militant, tout d’abord gagné à la religion et au nationalisme ? Ses assassins ont laissé la question en suspens. Ils étaient membres de la Nation of Islam, son ancien parti. Malgré leur condamnation à de longues peines de prison, on ne sait toujours pas si c’est Elijah Muhammad, leur dirigeant, qui a commandité ce meurtre, ou bien si la police les a manipulés dans ce but.

Malcolm X reste un symbole de la radicalisation d’une part croissante de la population noire américaine. À partir du milieu des années 1960, les Noirs pauvres, enragés contre le racisme et l’État, surgirent sur le devant de la scène politique dans des centaines de villes, lors d’émeutes spontanées à répétition. Mais Malcolm X et sa trajectoire sont aussi représentatifs de l’impasse dans laquelle le mouvement noir dans son ensemble allait se trouver, faute d’avoir trouvé la voie vers une véritable politique révolutionnaire.

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