Turquie : Cent ans après, les mêmes mensonges sur un désastre militaire28/01/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/01/2426.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Cent ans après, les mêmes mensonges sur un désastre militaire

L'article suivant est traduit du mensuel trotskyste turc Sinif Mücadelesi (UCI)

Avec le centenaire de la Première Guerre mondiale, la fin de l'année 2014 a été en Turquie l'occasion de cérémonies de commémoration de la bataille de Sarikamish. De décembre 1914 à janvier 1915, celle-ci a opposé sur le front du Caucase les armées turque et russe, faisant parmi les soldats plus de 100 000 victimes, en grande partie morts de froid.

La Turquie faisait alors partie de l'Empire ottoman. Allié de l'Allemagne et de l'Autriche, celui-ci était gouverné par le parti « jeune turc » Union et Progrès. Ses politiciens et ses généraux se rendirent responsables d'un des pires massacres de la guerre mondiale. Sous la direction du ministre de la Guerre Enver Pacha, aidé du commandant allemand Otto von Feldmann, ce furent entre 50 et 90 000 soldats ottomans, selon les sources officielles, qui gelèrent littéralement sur place.

Aujourd'hui, nationalistes turcs et représentants de l'État présentent Sarikamish comme un épisode d'héroïsme épique et Enver Pacha comme le grand homme de la nation turque. C'est prendre des libertés avec les faits, pour empêcher de tirer les leçons du passé.

À la suite de la guerre de 1877-1878 et de la défaite de l'Empire ottoman, la région de Batoum était revenue à la Russie. Les villes de Sarikamish, Kars, Ardahan et Artvin avaient été cédées à la Russie par le traité de Berlin. En novembre 1914, l'armée russe, en guerre avec l'armée ottomane, passa par Sarikamish pour se porter vers la frontière et éviter l'invasion de ce qui était alors son territoire. C'est l'Empire ottoman, en accord secret avec l'Allemagne pour tenter de reprendre à la Russie ce territoire perdu, qui déclencha le 19 décembre 1914 l'opération Sarikamish.

Cependant l'armée, obéissant aux ordres d'Enver Pacha, n'avait ni suffisamment de munitions, ni les connaissances et l'expérience suffisantes, dans une région qui subissait les pires conditions climatiques. En pleine nuit, sous la neige, sous les ordres de commandants irresponsables, des dizaines de milliers de soldats furent envoyés franchir les montagnes. La majorité gelèrent sur place. L'été venu, après la fonte des neiges, les autorités russes allaient devoir enterrer les corps de 25 000 de ces soldats.

Passant outre aux avis des officiers les plus expérimentés, Enver n'arrêta pas l'offensive, préoccupé de remporter coûte que coûte un succès militaire et politique. Après plusieurs attaques infructueuses se soldant par le massacre des soldats, le reste de l'armée ottomane encore présente dut se rendre.

Le 10 janvier, Enver repartit pour Istanbul. Auparavant, dans un télégramme envoyé au Premier ministre, il affirma avoir vaincu l'armée russe. De son côté, celle-ci avait déjà annoncé la vérité mais, pour couvrir le mensonge d'Enver Pacha, l'embargo fut décrété sur toute information concernant la bataille.

Il y eut aussi à Sarikamish des victimes civiles. 120 personnes, pour la plupart des enfants, envoyés assurer le ravitaillement de l'armée, ne revinrent jamais.

Kars, Ardahan et Sarikamish ne revinrent au gouvernement ottoman qu'après le traité de Brest-Litovsk signé par les bolcheviks après la révolution d'Octobre, en mars 1918. Puis, en octobre de la même année 1918, l'armistice de Moudros se conclut par le retour à l'ancienne frontière. Enfin, après la fin de l'Empire ottoman, un traité entre la Russie bolchevique et la Turquie désormais dirigée par Mustafa Kemal céda à celle-ci la région de Kars et Sarikamish. Mais plus de 100 000 soldats ottomans et russes étaient morts pour rien.

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