Turquie : Accidents du travail et réactions de colère24/09/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/09/une2408.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Accidents du travail et réactions de colère

Le 6 septembre en Turquie, dix travailleurs ont trouvé la mort sur un grand chantier du centre d'Istanbul, le Torun Center. Un ascenseur a chuté, s'écrasant au quatrième sous-sol et provoquant la mort des dix travailleurs.

Ce futur Torun Center appartient à la famille Torun, dont le père, 78e fortune de Turquie, est un ami de jeunesse de Recep Tayyip Erdogan, l'actuel président de la République. L'émotion a été vive à l'annonce de l'accident mais les grands médias ont tout mis en oeuvre pour expliquer que, sur le chantier, toutes les mesures de sécurité étaient prises, que tout était aux normes, qu'il s'agissait donc d'une triste fatalité.

En temps ordinaire, ces accidents mortels sont rapidement étouffés. Mais, du fait de la rivalité entre le clan du président Erdogan et la confrérie dirigée par son concurrent, le tout aussi réactionnaire Fethullah Gülen, l'accident a été largement médiatisé par la presse au service de ce dernier. Les journaux proches du parti d'opposition kémaliste, le CHP, Parti républicain du peuple, en ont également largement fait état. Ainsi, on a su que l'accident aurait pu être évité si les conditions de sécurité prescrites par le Code du travail avaient été respectées. Les conditions de travail inacceptables ayant cours sur ce type de grands chantiers ont été largement exposées. Actuellement sur deux millions de travailleurs, qui sont employés, 400 000 ne sont même pas déclarés.

Selon les chiffres officiels, entre 2003 et 2012, les accidents du travail mortels se sont élevés à plus de 12 000, dont presque un tiers dans le BTP. En 2013, 1 235 ouvriers sont décédés, dont 294 dans le bâtiment. Les chiffres sont en nette augmentation pour 2014, puisque pour les seuls huit premiers mois il y a déjà eu 1 270 morts dont 200 dans le bâtiment...

Les travailleurs du chantier du Torun Center ont révélé qu'il n'y avait eu aucune inspection sur les conditions de sécurité depuis un an et demi. Plus grave encore, l'ascenseur qui a chuté fonctionnait depuis deux mois avec un système de sécurité défectueux. Enfin, l'ouvrier chargé habituellement du fonctionnement de l'ascenseur venait d'être remplacé par un novice en poste depuis seulement trois jours, et qui n'avait reçu aucune formation.

Au lendemain de l'accident, un millier de personnes se sont rassemblées devant le chantier du Torun Center. De nombreux militants syndicaux, des militants de gauche, sont venus exprimer leur indignation. La police antiémeute était déjà sur place, utilisant grenades lacrymogènes et canons à eau. Accompagnés de plusieurs députés de gauche, les manifestants scandaient : « Ce n'est pas un accident, ce n'est pas une fatalité, c'est un meurtre ! », avant d'être, pour certains, arrêtés.

Deux jours après l'accident, à Ikitelli, dans la grande banlieue d'Istanbul, les 3 000 travailleurs d'un grand chantier lancé par la société de BTP Tema ont cessé le travail et ont bloqué le boulevard périphérique pendant plus d'une heure. En juin dernier, trois ouvriers étaient morts sur le chantier. La grève a eu pour origine la découverte au repas de vers dans l'assiette de certains travailleurs. Bien que le mouvement soit « illégal », le gouvernement et les autorités se sont bien gardés d'intervenir contre cette colère spontanée. Des négociateurs ont été dépêchés sur place pour calmer les manifestants et les renvoyer au travail.

Les grévistes ont obtenu satisfaction sur quasiment toutes leurs revendications : en premier lieu sur le respect intégral des conditions de sécurité, sous la surveillance d'un comité de dix travailleurs en collaboration avec un avocat membre d'une association des ouvriers du bâtiment, sur le versement des salaires en temps et en heure, déclarés en totalité, et sur des repas et conditions d'hébergement sur le terrain d'un niveau correct.

Ni le patronat ni les autorités n'ont réagi avec leur brutalité coutumière. À leurs yeux, cette explosion de colère aurait vraisemblablement pu ne pas s'arrêter là. La colère ouvrière est la seule chose qui peut arrêter un peu de tels exploiteurs.

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