Il y a cent ans, la guerre de 1914-1918 : Septembre 1914, les premiers « fusillés pour l'exemple », victimes d'une justice militaire d'exception17/09/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/09/une2407.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a cent ans, la guerre de 1914-1918 : Septembre 1914, les premiers « fusillés pour l'exemple », victimes d'une justice militaire d'exception

Entre 1914 et 1918, au moins 650 soldats français devaient mourir sous les balles de pelotons d'exécution, condamnés pour la plupart par des conseils de guerre constitués dans leurs propres régiments. Cette « justice » sommaire, visant à imposer l'obéissance totale aux soldats envoyés à la mort, fut instaurée dès le début du conflit. Septembre et octobre 1914 entraînèrent à eux seuls l'exécution de plus de 160 soldats.

En août 1914, les soldats mobilisés étaient partis au front avec l'espoir que la guerre serait courte, conviction répandue par l'état-major qui avait pour tactique l'offensive à outrance. Cependant l'armée allemande enfonça les lignes françaises, provoquant la déroute. Mi-septembre, la bataille de la Marne arrêta l'avancée allemande et, de part et d'autre, les soldats s'enterrèrent alors dans les tranchées, qui allaient tracer une ligne de front quasiment immobile jusqu'en 1918. Mais déjà, entre le 6 août et le 13 septembre 1914, les combats avaient fait 100 000 morts côté français, et deux fois plus de blessés, disparus et prisonniers.

La discipline, force principale des armées

Le 2 août, la loi décrétant l'état de siège transféra les pouvoirs de police à l'armée. Les premiers condamnés à mort, au mois d'août, outre des Allemands arrêtés, furent des civils accusés d'espionnage.

Le règlement militaire exigeait « que les ordres soient exécutés littéralement sans hésitations ni murmures ». Mais la discipline fut mise à mal par la retraite désordonnée des armées devant la violence des combats. Des colonnes d'hommes fuyaient, certains s'arrêtant, épuisés, d'autres jetant leur équipement ou partant seuls à la recherche de vivres et de boisson. Les généraux, comme l'écrivit l'un d'eux, estimèrent alors que ces soldats étaient « des gens sur lesquels la discipline n'a pas imprimé une assez forte empreinte ». Joffre, chef d'état-major de l'armée française, autorisa le commandement à prendre « toutes les mesures qu'il jugerait nécessaires », s'engageant à le « couvrir ».

Pendant toute la guerre, les officiers supérieurs eurent recours à des exécutions sommaires, impossibles à comptabiliser. Le 23 septembre, un général rapportait après la débandade d'un bataillon : « J'ai tué de ma main douze fuyards. » Les sanctions disciplinaires s'apparentaient parfois aussi à des condamnations à mort. Le général Pétain, en janvier 1915, voulut faire fusiller 25 soldats qui s'étaient mutilés en se tirant une balle dans la main ; il trouva finalement plus simple, en guise de sanction, de les faire lier et jeter pour la nuit au plus près des tranchées adverses.

La mise en place de conseils de guerre spéciaux

Une loi vint appuyer les généraux, en établissant une procédure judiciaire simplifiée par rapport aux conseils de guerre existants. On décréta le 6 septembre la création des conseils de guerre spéciaux : les soldats inculpés seraient jugés, sans délai ni instruction préalable, par trois officiers désignés dans leurs unités par les autorités militaires, sans possibilité de recours ni de pourvoi en cassation. Les condamnations à mort seraient aussitôt exécutoires. Seuls les juges auraient le pouvoir de demander que la mort soit commuée en une autre peine par grâce présidentielle. Le droit de recours fut également supprimé pour les conseils de guerre ordinaires.

Il s'agissait d'inspirer la terreur par des exemples rapides, d'opposer à la possibilité d'une mort au combat la certitude de l'exécution en cas de désobéissance ou de défaillance.

L'ex-socialiste Millerand, ministre de la Guerre à partir du 26 août, alla au-devant de tous les désirs de l'état-major. Il commanda que les condamnations à mort soient exécutées sans même en référer préalablement au ministère, et qu'on n'en appelle qu'exceptionnellement à la grâce présidentielle.

Les fusillés, des soldats comme les autres

Le principal motif de condamnation à mort fut l'abandon de poste en présence de l'ennemi. On punit des soldats ayant reculé devant la mitraille et le déluge d'artillerie, non parce qu'ils étaient des exceptions, mais au contraire parce que tous les soldats étaient tentés de faire comme eux.

Certains étaient pris sur le fait, d'autres au hasard, tel ce soldat qui, ayant perdu son régiment, le cherchait et eut « la malchance de se foutre dans les mains du général de division ».

Les autres motifs furent surtout des refus d'obéir, des voies de fait contre des supérieurs, plus rarement des incitations à capituler ou des instigations à la révolte.

Certains choisirent même, pour échapper à la mort, de se rendre à l'ennemi. L'état-major s'inquiéta de ces désertions. Un général décréta que des soldats qui avaient été faits prisonniers sans avoir été blessés, seraient déférés aux conseils de guerre après la fin des hostilités.

L'essentiel n'était pas que les condamnés soient réellement coupables ou non, aux yeux de la justice militaire. Ils étaient fusillés, suivant le rituel établi, par des soldats de leur propre régiment et devant celui-ci, au besoin après avoir été dégradés, dans tous les cas stigmatisés comme des lâches et des traîtres aux yeux de tous. Loin de renforcer un discours patriotique qui ne convainquait plus les soldats, ce rituel provoqua bien souvent leur dégoût. Beaucoup finissaient par penser, comme ce soldat en juin 1915 : « Nous souffrons pour les intérêts d'une bande de jouisseurs », « on s'ingénie à nous faire sentir que nous ne sommes rien, que de la bouillie à obus. »

La fin des conseils de guerre spéciaux, mais pas de la guerre

Le mois d'octobre 1914 fut le plus sévère, avec plus de 100 exécutions. En 1915, il y eut encore 500 condamnations à mort, dont 300 suivies d'effet. Cependant les conseils de guerre spéciaux se heurtèrent peu à peu à la réprobation des soldats et de l'opinion, et aux réticences des médecins chargés de se prononcer sur les mutilations volontaires, voire d'officiers désignés comme juges dans leur régiment, connaissant la réalité du terrain et répugnant à envoyer leurs soldats au peloton. Contre l'avis de Joffre, le Parlement vota finalement, en avril 1916, la suppression des conseils de guerre spéciaux et rétablit les procédures de recours pour les autres.

Toutefois ceux-ci furent de nouveau suspendus en juin 1917, à la demande de Pétain, lorsqu'une vague de mutineries entraîna des dizaines de milliers de soldats. Les conseils de guerre prononcèrent alors 600 condamnations à mort en cinq semaines, dont une trentaine furent exécutées.

Ainsi la guerre impérialiste, déclenchée par le choc des intérêts entre capitalistes des divers États, ne donna pas seulement pendant quatre ans aux généraux le pouvoir d'envoyer à la mort des centaines de milliers d'hommes. Pour leur permettre d'accomplir cette barbarie, il fallut y ajouter celle d'une « justice » visant à obliger les sacrifiés à marcher aveuglément à l'abattoir, le revolver sur la tempe.

Le meurtre des « fusillés pour l'exemple » s'ajoute à la liste des crimes de la bourgeoisie capitaliste, dans une guerre où les véritables ennemis des soldats n'étaient pas de l'autre côté des tranchées, mais dans leur propre camp.

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