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- Lutte ouvrière n°2403
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États-Unis, des jeunes Noirs abattus par des policiers : La saine révolte de la population
Le policier prétend avoir été agressé, alors qu'un témoin affirme que le jeune avait levé les bras et se rendait à la police. Depuis, chaque jour, la population, aux deux tiers noire, crie sa colère, manifeste dans la ville, bras levés en criant : « Les mains en l'air, ne tirez pas » et « Pas de justice, pas de paix ». Elle affronte les forces de répression pour exiger que justice soit rendue à l'encontre du policier assassin.
Depuis plus d'une semaine la tension est montée, car l'attitude et les décisions des autorités n'ont fait que renforcer la colère et la révolte de la population. Elles ont commencé par couvrir le policier, refusant dans un premier temps de donner son nom, et diffusant une vidéo de surveillance montrant le jeune en train de chiper quelques cigarillos chez un commerçant, pour finir par reconnaître que cela n'avait rien à voir avec sa mort. L'envoi d'un officier noir de la police de l'État parmi les manifestants, pour montrer sa solidarité, n'a calmé le jeu que quelques heures. Finalement, la police locale a été dessaisie et c'est la police de l'État qui a pris le relais, mais les chars et autres matériels militaires exhibés contre les manifestants ont renforcé leur colère, sans parler du couvre-feu mis en place le week-end et qui a donné lieu aux plus violents affrontements.
Lundi 18, les résultats des premières autopsies ont révélé que Michael Brown avait reçu six balles, dont une mortelle, entrée par le sommet du crâne et descendue à travers le cerveau. Aucune n'aurait été tirée à bout portant. La thèse de l'agression ne tient pas, alors que celle de la reddition du jeune semble confirmée. Les résultats d'une troisième autopsie, conduite par les autorités fédérales, ne sont pas connus à l'heure où nous écrivons.
Le gouverneur, effrayé et débordé, a demandé l'intervention de la Garde nationale. La détermination des habitants à obtenir justice, c'est-à-dire déjà l'arrestation et l'inculpation du policier assassin, et l'incapacité des autorités à ramener le calme dans cette petite ville de 22 000 habitants font peur aux autorités. Plus cette situation incontrôlable se prolonge, plus elles peuvent craindre que la révolte s'étende à d'autres villes.
Car cette attitude de la police et des autorités racistes envers les jeunes Noirs n'est pas une particularité de Ferguson. Le meurtre de Trayvon Martin, un autre adolescent noir, abattu en 2012 alors qu'il marchait tranquillement dans la rue, et l'acquittement de son meurtrier par la justice sont encore dans toutes les mémoires. « Depuis vingt ans, les meurtres de jeunes Noirs désarmés par des policiers ont provoqué des émeutes aussi bien dans des petites villes que dans des grandes », selon le New York Times.
Spark, le bimensuel de l'organisation trotskyste américaine du même nom, affirme dans son éditorial : « C'est arrivé à Ferguson dans le Missouri, mais ça aurait pu arriver dans n'importe quelle ville de ce pays. Parce que les jeunes hommes noirs qui marchent dans les rues sont des cibles vivantes. »
C'est dire que la révolte profonde exprimée par la population de cette petite ville de Ferguson et sa détermination à ne rien lâcher avant d'avoir obtenu justice ne peuvent qu'avoir un large écho dans la population du pays, et en particulier dans la population noire.
C'est la raison pour laquelle l'État fédéral lui-même s'est impliqué dans l'enquête, envoyant quarante enquêteurs sur place faire du porte-à-porte pour recueillir des témoignages. Lundi, Obama a annoncé l'arrivée mercredi 20 août du procureur général du pays pour diriger l'enquête, tout en s'inquiétant d'une trop grande implication de la Garde nationale. Il a tenu à dire que ce n'est pas lui qui a demandé son intervention, mais le gouverneur du Missouri.
Et à nouveau, mardi 19, à Saint Louis, à quelques kilomètres de Ferguson, un jeune Noir de 23 ans été abattu par deux policiers, qui ont tiré à plusieurs reprises sur lui sous prétexte qu'il les menaçait d'un couteau ! Une fois de plus, un jeune Noir est abattu comme un chien, et l'indignation et la révolte d'être traités comme des animaux se sont immédiatement exprimées à Saint Louis même, quelques centaines de personnes s'étant tout de suite rassemblées.
Ce nouveau meurtre est de nature à raviver encore la colère et rendre la situation explosive. Les autorités, toutes fédérales qu'elles soient, risquent d'avoir encore bien des difficultés. Face à ces meurtres ignobles, seule la révolte populaire est porteuse d'espoir.
Dominique CHABLIS
Nous traduisons ci-dessous des extraits de l'éditorial de Spark, bimensuel trotskyste américain, consacré au meurtre de Michael Brown et à la révolte de Ferguson.
Ce type de meurtre aurait pu avoir lieu n'importe où dans le pays. Et en fait, il y en a régulièrement. La différence est que la population noire de Ferguson ne l'a pas accepté sans protester. Les protestations ont continué la semaine dernière, marquées par des explosions qui révèlent la rage qu'il y a au plus profond de personnes qui ont été maltraitées et rejetées.
Les autorités, depuis le président Obama jusqu'en bas de l'échelle, dénoncent la « violence » qui se déchaîne à Ferguson.
Quel cynisme. Sans cette prétendue « violence », il n'y aurait pas eu d'enquête aujourd'hui par le FBI ni par le grand jury. Le gouverneur du Missouri n'aurait pas entamé des limogeages dans la police de Ferguson. Sans les protestations, cela aurait été la routine. Et la routine, quand un jeune homme noir est tué par un flic, c'est de balayer sous le tapis toutes les preuves de meurtre. En fait, ce n'est qu'après six jours de protestations continues - et, oui, de « violences » - que quelqu'un a eu le courage de reconnaître qu'il y aurait pu y avoir quelque chose de mal dans ce que le flic avait fait.
La population de Ferguson a raison de protester. Elle a le droit de prendre tous les moyens qu'elle peut pour exprimer son indignation. « Le pouvoir ne cède rien sans revendication » : c'était une phrase célèbre d'un discours de Frederick Douglass sur la lutte pour renverser l'esclavage. 157 ans après, c'est toujours aussi vrai.