Nigeria : La sauvagerie de Boko Haram et celle de l'État14/05/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/05/une2389.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Nigeria : La sauvagerie de Boko Haram et celle de l'État

L'enlèvement, il y a un mois, de plus de deux cents lycéennes par la secte Boko Haram au Nigeria et la vidéo diffusée le 5 mai par son chef ont suscité une indignation générale. Le voyant menacer de vendre les jeunes filles et d'en garder certaines comme esclaves, leurs mères et leurs familles ont commencé à s'organiser et à manifester, comptant peu sur l'État nigérian. Elles ont été relayées dans de nombreux pays sous le mot d'ordre : « Bring Back Our Girls » (Ramenez nos filles). Mais, à côté de l'indignation universellement provoquée par les propos odieux du chef de Boko Haram, les hommes politiques de tous pays se sont empressés de s'engouffrer dans le mouvement, de manière beaucoup moins désintéressée.

Le Nigeria, devenu la première économie du continent devant l'Afrique du Sud, et le sixième producteur mondial de pétrole, a de quoi susciter toutes les attentions. Les USA, la Grande-Bretagne, la France ont envoyé des spécialistes de la lutte contre le terrorisme, et François Hollande a même réussi à mettre sur pied une conférence internationale à Paris, se prévalant du « savoir-faire » dont a fait preuve l'armée française au Mali. Les interventions militaires de l'impérialisme français en Afrique lui permettent d'avancer ses pions dans une zone plutôt dévolue à ses rivaux anglo-saxons, et en particulier aux compagnies pétrolières comme Shell, dont les méthodes dans le delta du Niger ont déclenché la révolte des habitants.

Eldorado pour qui ?

Pays le plus peuplé d'Afrique avec ses 170 millions d'habitants, le Nigeria était surtout évoqué ces derniers temps dans la rubrique économique des journaux comme un nouvel eldorado, le symbole d'une Afrique subsaharienne qui allait enfin sortir de la misère. La presse vante son taux de croissance de plus de 6 % et sa capitale économique, Lagos, est qualifiée de « Singapour de l'Afrique ». Mais ces indicateurs économiques ne signifient rien pour la population, et si le Nigeria peut être un symbole, c'est surtout celui des inégalités qu'engendre le développement capitaliste.

À Lagos même, principale ville du pays, coexistent les riches demeures d'une bourgeoisie affichant son luxe et des bidonvilles d'une abominable pauvreté. L'absence d'électricité est quasi permanente dans la plupart des quartiers et à l'échelle du pays, la moitié des Nigérians n'y ont de toute façon pas accès. Le président Goodluck Jonathan a entrepris d'en privatiser la production, ce qui résoudra peut-être le problème pour la minorité capable de payer, cette nouvelle classe moyenne africaine dont se gargarisent les économistes. Les coupures d'eau sont fréquentes et les routes défoncées. Pour avoir du carburant, la population en est réduite à siphonner les pipe-lines, provoquant régulièrement des explosions meurtrières. On estime pourtant que six mille personnes viennent chaque jour s'ajouter aux dix-huit millions d'habitants de l'agglomération de Lagos dans l'espoir d'y trouver une vie meilleure.

Une terrible arriération

Dans le reste du pays, la situation est encore pire, en particulier dans les régions musulmanes du Nord où est née la secte Boko Haram. Déjà à l'époque de la colonisation britannique cette zone était délaissée, beaucoup moins intéressante que les régions côtières, comme partout en Afrique. Cela a continué avec l'indépendance. En 2001 les États du nord de cette fédération qu'est le Nigeria ont instauré la charia, la loi islamique, avec la complicité du gouvernement central. Celui-ci ne s'est un peu ému que lorsqu'une adolescente condamnée à mort par lapidation pour adultère a fait l'objet d'une campagne internationale de soutien en 2003. De telles condamnations sont régulièrement prononcées, pour homosexualité par exemple. Les femmes sont les premières victimes de cette arriération. Dans l'État de Zamfara, le premier à avoir instauré la loi islamique, seulement 5 % des filles sauraient lire et écrire.

C'est sur ce terreau de pauvreté, d'arriération moyenâgeuse et de violent mépris des femmes que s'est développée au début des années 2000 la secte Boko Haram, dont le nom veut dire littéralement « l'éducation est un péché ». Ses hommes s'en sont d'abord pris aux symboles du pouvoir, postes de police, casernes, tribunaux, avant de retourner leurs armes vers ce qu'ils considèrent comme les symboles de l'Occident, en particulier l'école. Ils ont mené des attaques sanglantes contre des églises chrétiennes dans le sud du pays, et même contre le siège des Nations unies à Abuja, la capitale politique. Le pouvoir central nigérian, après avoir tenté d'acheter ses chefs, a constitué des forces de combat contre le groupe. Mais la plus grande partie du budget militaire, qui représente pratiquement le quart des dépenses de l'État, est englouti dans la corruption et derrière le président civil Goodluck Jonathan, les généraux, longtemps au pouvoir, ont gardé leur influence et leur richesse. D'ailleurs, quand l'armée nigériane intervient contre Boko Haram, c'est en grande partie la population qui fait les frais de ses bombardements, à tel point que les organisations humanitaires affirment qu'elle a fait plus de victimes parmi les villageois que la secte elle-même.

Derrière une croissance économique qui ne profite qu'à une minorité, c'est le maintien de cette arriération, de cette violence et de cette pauvreté que l'impérialisme offre en guise de développement à la population des pays d'Afrique. La sauvagerie de sectes comme Boko Haram est un produit de la politique des grandes puissances dont les dirigeants s'indignent aujourd'hui.

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