Avril 1984 : Contre le plan Acier de Mitterrand, les sidérurgistes dans la rue14/05/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/05/une2389.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a trente ans

Avril 1984 : Contre le plan Acier de Mitterrand, les sidérurgistes dans la rue

Le 13 avril 1984, entre 40 000 et 60 000 sidérurgistes manifestaient à Paris contre le gouvernement d'Union de la gauche de François Mitterrand et son deuxième « plan Acier », qui prévoyait une nouvelle saignée dans leurs effectifs. Quelques jours auparavant, le 4 avril, on dénombrait 150 000 manifestants dans les villes de Lorraine, des ouvriers sidérurgistes, mais aussi d'autres salariés et des petits commerçants. La colère dominait parmi les manifestants, ainsi que le sentiment d'une immense trahison de la part de ce gouvernement de gauche pour lequel la grande majorité d'entre eux avait voté en 1981.

Mitterrand n'avait en effet pas été avare de promesses vis-à-vis des sidérurgistes lorrains. En octobre 1981, lors d'une tournée dans la région quelques mois après son élection, il déclarait : « Il n'y aura pas de secteur condamné, qu'il s'agisse, dans votre région, de la sidérurgie qu'il nous faut sauvegarder, développer, ou des mines de fer, dont l'exploitation doit être poursuivie (...). »

La réalité allait être tout autre. En février 1982, le gouvernement Mitterrand-Mauroy, comprenant quatre ministres communistes, achevait la nationalisation de la sidérurgie qui avait été entamée quatre ans auparavant, sous un gouvernement de droite. Cette nationalisation, présentée par le PCF comme une panacée, était en fait surtout un beau cadeau fait à la famille de Wendel et aux autres grands patrons de l'acier. L'État prenait à son compte les dettes du secteur et permettait à ces capitalistes de se retirer sans pertes et de placer leurs milliards dans des secteurs plus rentables.

Pour les ouvriers, une catastrophe se préparait. Dès juin 1982, le gouvernement présentait son « plan Acier » comportant 12 000 suppressions d'emplois. Moins de deux ans plus tard, le 29 mars 1984, il révisait ce plan et supprimait 21 000 emplois supplémentaires. Les usines sidérurgiques de Longwy, Denain et Pompey, près de Nancy, étaient condamnées à la fermeture. Celles de Neuves-Maisons et de Gandrange perdaient une bonne partie de leurs effectifs. En Lorraine, un sidérurgiste sur quatre était concerné, à Longwy, un sur deux ! Cette nouvelle saignée survenait après une succession de plans dits de reconversion ou de modernisation, qui avaient déjà fait des coupes claires dans les effectifs depuis les années 1960.

PCF et CGT au secours de Mitterrand

Georges Marchais, alors secrétaire général du PCF, fit une apparition dans la manifestation parisienne du 13 avril et critiqua le plan Acier. Les dirigeants lorrains du PCF, de leur côté, affirmaient à qui voulait l'entendre que les ministres communistes n'accepteraient jamais ce plan et démissionneraient s'il était appliqué...

Non seulement les ministres communistes ne partirent pas, mais un mois plus tard, en mai 1984, les députés communistes votèrent même la confiance au gouvernement Mitterrand-Mauroy. En revanche, les ministres communistes quittèrent le gouvernement en juillet, après les résultats catastrophiques du PCF aux élections européennes de juin, où il passa de 20,5 % à 11,28 %, alors que le FN dépassait les 10 %.

Au-delà du PCF, c'est aussi la CGT qui aida le gouvernement en canalisant la colère des « métallos ». Quelques années auparavant, début 1979, celle-ci avait déjà éclaté en riposte à un plan similaire, cette fois pris par un gouvernement de droite. Les manifestations avaient alors été massives à Longwy et à Denain, puis à Paris. Les sidérurgistes avaient organisé plusieurs séquestrations, la mise à sac de locaux patronaux ou publics, le blocage des routes. Ils s'étaient affrontés violemment avec la police, allant jusqu'à attaquer le commissariat de Longwy à plusieurs reprises. Mais pour la CGT et les autres syndicats, il n'était pas question de répondre de la même façon à un gouvernement de gauche.

Les débrayages furent donc limités, les manifestations soigneusement encadrées. Les dirigeants syndicaux donnèrent un caractère régional à la manifestation parisienne, avec une grande croix de Lorraine et des majorettes en costume traditionnel placées en tête. Ils réclamèrent une solution industrielle pour la Lorraine, ne cherchant nullement à faire le lien avec les autres secteurs attaqués et à préparer une riposte d'ensemble aux licenciements, contre le patronat et le gouvernement qui en portaient la responsabilité.

Pourtant, les restructurations touchaient bien d'autres secteurs : 5 000 emplois devaient être supprimés dans la construction navale, 6 000 dans les charbonnages. Le groupe Peugeot venait lui aussi de lancer un vaste plan de plus de 12 000 suppressions d'emplois pour ses trois marques, Talbot, Peugeot et Citroën, ce qui avait déclenché une grève dure à Talbot-Poissy, en décembre 1983 et janvier 1984.

Dès cette époque, et même en réalité depuis le début de la crise du système capitaliste, dans les années 1970, les attaques du patronat et des gouvernements successifs se multipliaient contre le monde du travail. Alors qu'organiser la contre-offensive aurait été nécessaire, le rôle antiouvrier du gouvernement qui se disait de gauche ainsi que la politique menée par le PCF et par les syndicats contribuèrent au contraire à démobiliser les militants et à démoraliser le monde du travail. Et cela à un moment où la capacité de mobilisation de la classe ouvrière était réelle, comme le montrait le caractère massif des manifestations.

Un beau cadeau pour le patronat

La casse de la sidérurgie allait continuer les années suivantes et la région entière allait en rester sinistrée, alors que les patrons du secteur tiraient toujours leur épingle du jeu. Après avoir pris à sa charge la fermeture des usines et la modernisation de celles qui restaient - les différents plans de sauvetage coûtèrent 110 milliards de francs - l'État privatisa de nouveau le secteur quand celui-ci renoua avec les bénéfices. En effet, les effectifs fondirent, divisés par 3,4 entre 1980 et 1999, mais la production, elle, ne baissa que de 13 %. En 1994, le gouvernement de cohabitation Balladur-Mitterrand commença à revendre des parts d'Usinor-Sacilor, le groupe issu de la fusion en 1986 des deux entreprises nationalisées, Usinor et Sacilor. La privatisation fut achevée en 1997, cette fois sous le gouvernement de cohabitation Jospin-Chirac.

Usinor-Sacilor, devenu Arcelor en 2002 par fusion avec deux autres groupes sidérurgistes européens, tomba dans l'escarcelle du capitaliste Lakshmi Mittal en 2006. Depuis, les restructurations, les fermetures et la baisse des effectifs ont continué. Après la fermeture de l'aciérie de Gandrange en 2008, ce fut le tour des hauts fourneaux de Florange en avril 2013. Les gouvernements, de droite comme de gauche, laissèrent faire tout en lanternant les ouvriers.

Les usines sidérurgiques de Lorraine, qui représentaient 130 000 emplois en 1960, ont maintenant presque toutes fermé, laissant une région dévastée. Les plans de suppressions d'emplois successifs ont provoqué bien des réactions chez les ouvriers, qui permirent tout au plus d'en atténuer quelque peu les effets. Ainsi ils bénéficièrent de dispenses d'activité à partir de 50 ans ou de l'augmentation des primes de départ, obtenues lors du coup de colère de 1979, mais supprimées dans les années 1990. Mais face à eux, les grands patrons de la sidérurgie d'aujourd'hui et d'hier, les de Wendel et les Mittal, continuent à faire partie des plus grandes fortunes mondiales.

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