Jacques Servier l'homme du Mediator : Un grand patron protégé par l'État23/04/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/04/une2386.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Jacques Servier l'homme du Mediator : Un grand patron protégé par l'État

Jacques Servier est mort. Depuis plus de soixante ans, il dirigeait le laboratoire qu'il avait créé en 1953 et auquel il avait donné son nom. Son laboratoire avait fait de cet homme une des grandes fortunes de France, grâce à la commercialisation de médicaments. Parmi ceux-ci il y avait le Mediator, dont Servier a sciemment caché la véritable nature et qu'il a continué à vendre, même après qu'on a su qu'il pouvait dans certains cas être un poison.

Certes en 1976, quand le Mediator a été mis sur le marché, on ne connaissait pas ses effets nocifs, mais déjà Servier savait que son médicament, sur lequel il espérait toucher le gros lot, était apparenté aux amphétamines. Sauf qu'à la fin des années 1990, quand les médicaments de cette classe chimique ont été retirés du marché parce qu'on commençait à mettre en évidence leurs potentiels effets nocifs, Servier a tout fait pour cacher la nature du Mediator. Même après les premiers signalements de graves effets cardiaques, il a continué à être produit, vendu et... remboursé à 65 % par la Sécurité sociale ! Et ceci jusqu'en novembre 2009, où il a enfin été interdit grâce notamment au combat du docteur Irène Frachon, la pneumologue de l'hôpital de Brest qui a eu le courage de s'attaquer à Servier et n'a pas lâché le morceau.

Ils sont nombreux, ceux qui soulignent, pour expliquer l'origine de ce qu'ils nomment le « scandale du Mediator », la personnalité et le caractère de Jacques Servier. Certes, le personnage est peu ragoûtant par son cynisme, ses mensonges et son mépris, mais c'est oublier qu'il a bénéficié pendant toute sa carrière de la complicité des autorités administratives et de l'État.

S'il est un point que ce scandale met en évidence, ce sont les liens qui unissent le milieu des affaires et celui des politiciens censés les contrôler. Servier n'a pu continuer à vendre son médicament sans le concours de ceux qui, de l'Assemblée au Sénat en passant par l'Agence du médicament, se sont laissé « convaincre ». C'est avec leur concours que le Mediator a pu, pendant plus de trente ans, participer à la construction de la fortune de Servier et à la réussite de ce qui est devenu le deuxième laboratoire français.

Pendant toute sa vie, Servier et son laboratoire ont été bien servis par l'État, y compris par ses représentants au plus haut niveau, tels Mitterrand qui le fit chevalier de la Légion d'honneur en 1985 et Sarkozy qui l'éleva au rang de grand-croix de cette Légion d'honneur en 2009, quelques mois avant l'interdiction du Mediator.

Restent les malades. Cinq millions de personnes ont pris du Mediator, qui pourrait être responsable de plus de 2 000 décès. Et ils sont nombreux ceux qui vivent avec un coeur défaillant ou avec l'angoisse qu'il le devienne.

Depuis les premières plaintes déposées en 2010, puis les mises en examen et les procès, les services juridiques et les avocats à la solde de Servier n'ont pas cessé de jouer les embrouilles de procédure et de faire reporter les audiences. Jacques Servier échappe à son propre procès. Irène Frachon, elle, continue le combat : « On attend de l'instruction la vérité et la justice. (...) Si la personne a disparu, le nom de Jacques Servier et ses collaborateurs auront à répondre des crimes devant la justice. » Un combat qui, face à un tel système, pourrait être encore bien long.

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