Il y a trente ans en Grande-Bretagne, mars 1984 - mars 1985 : La grève des mineurs trahie par la direction syndicale26/03/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/03/une2382.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a trente ans en Grande-Bretagne, mars 1984 - mars 1985 : La grève des mineurs trahie par la direction syndicale

En mars 1984 éclata dans les mines britanniques la plus longue grève de l'histoire du mouvement ouvrier du pays. Elle devait durer un an. Le 6 mars, le gouvernement avait provoqué les mineurs en annonçant une nouvelle charrette de 20 000 suppressions d'emplois, faisant suite à 50 000 autres. Sans attendre les consignes de leur syndicat, le NUM, quelques mines avaient riposté par la grève, rejoignant des mouvements jusque-là isolés en Écosse et dans le Yorkshire, dans le nord-est du pays. Puis, l'ensemble des grévistes avaient formé des piquets de grève volants qui s'étaient lancés sur les routes aux quatre coins du pays, pour étendre le mouvement.

En à peine plus d'une semaine, 80 % des 180 000 mineurs avaient rejoint la grève, tandis que la direction du NUM, sans s'opposer au mouvement, se gardait de l'encourager.

L'offensive du capital

Cette grève s'inscrivait dans tout un contexte. Cinq ans plus tôt, durant l'hiver 1978-1979, le pays avait connu sa plus grande vague de grèves depuis la grève générale de 1926. Parti des usines Ford, le mouvement s'était étendu à l'ensemble du secteur public, battant en brèche le gel des salaires que tentait d'imposer le gouvernement travailliste d'alors. Durant cet « Hiver du mécontentement », les grèves de solidarité avaient joué un rôle important, malgré l'opposition d'appareils syndicaux déterminés à ne pas mettre le Parti travailliste en difficulté.

En mai 1979, le Parti conservateur de Margaret Thatcher était revenu au pouvoir et s'était attelé à la tâche de restaurer les profits de la bourgeoisie qui ne s'étaient pas remis de la crise mondiale du milieu des années 1970. Pour financer un énorme détournement de fonds publics au profit de cette bourgeoisie, elle avait accéléré le démantèlement du vaste secteur public amorcé par les travaillistes.

En même temps, des lois visant à limiter le droit de grève et à interdire les grèves de solidarité avaient été adoptées. Mais, jusqu'en 1983, Thatcher s'était gardée de s'attaquer de front aux travailleurs. Elle avait dû essuyer quantité de grèves : dans les mines, la santé, les chemins de fer, ainsi qu'une grève de quatorze semaines dans la sidérurgie nationalisée. Mais elle s'était toujours montrée prudente, soit en lâchant du lest, soit en laissant le soin aux appareils syndicaux de ramener l'ordre.

Revenue au pouvoir avec une majorité renforcée après les élections anticipées de 1983, dans la foulée de la guerre des Malouines, elle était passée à l'offensive, multipliant les annonces de plans de licenciements dans le secteur public, tant dans les mines que dans la sidérurgie, la santé, les chemins de fer, les docks, etc. C'était une guerre ouverte, qui visait l'ensemble de la classe ouvrière.

Les atouts des mineurs

Face à l'offensive du capital, les mineurs avaient des atouts considérables : leur nombre et leur répartition géographique dans toutes les régions du pays ; leurs liens naturels, nombreux, avec diverses industries, publiques et privées ; et, surtout, leur crédit considérable parmi de vastes couches de travailleurs, qui suivaient le déroulement quotidien de leur grève en ayant le sentiment que c'était un peu la leur.

Mais leur meilleur atout, celui qui avait gagné la sympathie de bien des travailleurs, était la détermination dont ils avaient fait preuve en faisant de leur mouvement une véritable vague déferlante : pour une fois, malgré le caractère défensif de leurs revendications, les mineurs apparaissaient comme prenant l'offensive, en défiant les lois antigrèves d'un gouvernement et d'un patronat qui n'en finissaient pas d'asséner des coups à la classe ouvrière.

C'était d'ailleurs justement ce caractère offensif que craignait le gouvernement : dans de nombreux secteurs, dont les chemins de fer, la poste, l'eau et la sidérurgie, des suppressions d'emplois annoncées furent prudemment repoussées, pour ne réapparaître qu'après la grève.

Pour garder son caractère offensif, la grève aurait dû continuer à s'étendre, ou au moins menacer réellement de le faire, au point que la bourgeoisie commence à craindre pour ses profits et que cela pose un réel problème politique au gouvernement.

Mais cela aurait impliqué de sortir du cadre corporatiste, en se servant des forces et du crédit des mineurs pour s'adresser à d'autres sections de la classe ouvrière, sur la base de revendications communes face à l'offensive de la bourgeoisie – et celles-ci ne manquaient pas !

Il ne manqua pas non plus d'occasions où les mineurs auraient pu gagner le soutien actif d'autres secteurs de la classe ouvrière en leur apportant le renfort de leurs propres forces : par exemple, lors des grèves de cheminots de juin 1984, celles des ouvriers municipaux de plusieurs grandes villes comme Liverpool, et surtout lors des deux grèves nationales des dockers, l'une de 13 jours en juillet 1984, et l'autre de 35 jours à partir de la fin août. Et cela sans parler du parti qui aurait pu être tiré des nombreuses grèves spontanées de solidarité avec les mineurs qui eurent lieu tout au long du mouvement.

L'impasse du corporatisme

Or, ni l'appareil du NUM ni son leader Arthur Scargill ne cherchèrent à conserver à la grève ce caractère offensif. Les leaders des autres syndicats ne se souciant que de leurs intérêts de boutique et de conserver le contrôle de leurs troupes, il lui aurait fallu passer par-dessus leur tête, ce que la direction du NUM ne voulut jamais faire. Au contraire, elle fit la police dans les rangs des grévistes pour empêcher tout « débordement » sur ce plan. C'est ainsi que, là où des mineurs prirent l'initiative d'aller renforcer les grévistes des docks, l'appareil du NUM leur tomba dessus en brandissant des mesures disciplinaires.

En guise de perspective, la seule que proposa Scargill aux mineurs fut de se cramponner à la mine et aux conditions de travail peu enviables qui étaient les leurs. Au lieu de défendre le droit des mineurs licenciés à un revenu, le NUM se cantonna à la défense de leurs puits, dont il s'efforça de prouver la rentabilité, à quoi il ajouta la défense du « charbon britannique » contre le charbon importé de Pologne ou d'ailleurs.

Pour tout objectif militant, le NUM donna celui de « bloquer le charbon ». Pendant des mois, des dizaines de milliers de grévistes se relayèrent devant leurs puits face à la police pour empêcher, en général en vain, quelques non-grévistes de descendre au fond, où ils n'assuraient de toute façon pas de production réelle.

Si le NUM chercha à faire appel à la solidarité des travailleurs, ce fut uniquement à celle de leur portefeuille – et il est vrai qu'ils donnèrent sans compter. En revanche, sous prétexte de « blocage du charbon », le NUM envoya les mineurs tenter de bloquer des aciéries et des centrales thermiques – sans grand résultat sinon celui de s'aliéner nombre d'ouvriers dont les emplois étaient aussi menacés.

Finalement, le 3 mars 1985, plus d'un an après que les premiers puits s'étaient mis en grève, une conférence spéciale du NUM vota la reprise sans avoir rien obtenu. La grève laissa de nombreux villages miniers profondément marqués par les affrontements entre les grévistes et la minorité de non-grévistes. Environ 110 000 mineurs avaient tenu jusqu'au bout, des milliers d'autres avaient pris un autre emploi plutôt que de capituler. Parmi les grévistes, des dizaines de milliers furent licenciés au cours de l'année suivante et beaucoup durent déménager et prendre des emplois non qualifiés pour échapper aux listes noires.

Non seulement la politique de la direction du NUM, et des leaders syndicaux en général, avait fait un gâchis lamentable de la détermination et de la combativité des mineurs en les conduisant à la défaite, mais elle avait privé l'ensemble de la classe ouvrière d'une occasion de riposter à l'offensive de la bourgeoisie. Elle continue à le payer cher, trente ans plus tard !

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