Renault - Cléon (Seine-Maritime) : Dans un contexte de pressions patronales, un travailleur se suicide à l'usine05/02/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/02/une2375.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Renault - Cléon (Seine-Maritime) : Dans un contexte de pressions patronales, un travailleur se suicide à l'usine

Jeudi 30 janvier, Emmanuel, salarié chez Renault Cléon âgé de 43 ans, père de trois enfants, s'est suicidé à l'usine. Employé dans un secteur d'usinage des boîtes de vitesses, il a été retrouvé pendu par ses collègues de nuit. L'annonce de sa mort a bouleversé tout le monde, d'autant qu'elle s'est produite moins de neuf mois après le suicide (toujours à l'usine) d'un autre ouvrier.

Contrairement au travailleur qui avait mis fin à ses jours en avril 2013, et qui accusait alors nommément la direction de l'usine et Carlos Ghosn, le patron de Renault, Emmanuel n'a laissé aucune lettre. Mais le fait qu'il se soit suicidé lui aussi sur son lieu de travail n'est pas un geste neutre et ses camarades l'interprètent comme une mise en cause de la politique de la direction et de la façon dont elle l'impose.

Selon un système de rotation en vigueur à Renault Cléon, Emmanuel effectuait chaque année huit mois en équipe de nuit et quatre mois en journée. Il était demandeur de travail de nuit pour des raisons financières, sa femme étant au chômage. Or, la veille du suicide, il avait assisté à une réunion où la maîtrise de son secteur avait annoncé qu'il n'y aurait plus de travail de nuit dans son atelier. Pour ceux qui faisaient la nuit, la perte pourrait dépasser les 600 euros.

Le geste de notre camarade est à l'évidence l'aboutissement d'un itinéraire personnel douloureux. Sans être forcément la seule raison à son geste, la situation à l'usine où l'exploitation s'est accrue, aussi bien dans les ateliers que dans les bureaux, a été un facteur aggravant. La direction a beau nier cette réalité, elle est incontestable pour de nombreux salariés.

Dans les ateliers, le travail n'est souvent plus qu'une suite d'opérations spécifiques, répétitives, à reproduire sans cesse. À cela s'ajoute une pression constante des chefs, qui exigent la baisse des temps pour toutes les opérations. La direction utilise les continuelles restructurations pour imposer mobilité et flexibilité, décidant arbitrairement des mutations, refusant celles réclamées par les salariés. Les pressions pour le rendement sont quotidiennes. Il faut produire toujours plus en un temps toujours plus court.

La direction impose son « management au plus près », casse les solidarités au travail en faisant croire que le dialogue individuel entre un salarié et un chef peut résoudre tous les problèmes. Lors des entretiens individuels, des salariés se retrouvent piégés par des objectifs inatteignables. C'est alors le prétexte à de nouvelles pressions, faites de promesses, de ragots, de mensonges pour entretenir un climat de méfiance, de suspicion et de concurrence entre tous. La hiérarchie se donne le beau rôle et tente de faire croire qu'elle est à l'écoute. Celui qui se laisse prendre à ce jeu ne peut que s'en mordre les doigts.

Si nombre de chefs sont parfois incompétents techniquement, leur qualification dans le domaine du harcèlement psychologique s'est spectaculairement accrue : primes à « l'innovation », photo dans le journal d'entreprise, compétition entre les salariés, dénigrement des syndicats. Cela crée une ambiance délétère dont la direction tire profit.

Voilà la réalité quotidienne à l'usine : harcèlement, stress, pressions, humiliations. Elle éclaire les causes qui ont pu conduire des camarades de travail à commettre l'irréparable.

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