Poutine veut des Jeux Olympiques à son image05/02/20142014Journal/medias/journalnumero/images/2014/02/une2375.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Poutine veut des Jeux Olympiques à son image

Avant même que ne s'ouvrent les XXIIe Jeux Olympiques d'hiver à Sotchi, station balnéaire russe située au pied du Caucase, le président Poutine faisait déjà figure de grand vainqueur dans de nombreuses disciplines, il est vrai pas vraiment olympiques.

Côté sécurité, alors que les indépendantistes islamistes du Caucase « russe » ont juré de saboter la fête - et ont déjà organisé deux attentats non loin de là en décembre - le Kremlin, qui mène une répression sans pitié dans toute la région, a déployé des moyens et des forces fantastiques pour placer les sites olympiques sous une bulle policière censée être étanche.

UN COUT EXORBITANT

Le coût de ces Jeux - officiellement annoncé à 37 milliards d'euros alors que les précédents, à Vancouver, avaient coûté 25 fois moins - est le plus élevé de toute l'histoire de l'olympisme d'hiver ou d'été. Cela n'a rien d'étonnant : Poutine veut faire des JO de Sotchi la vitrine de la puissance retrouvée de la Russie, de son retour en fanfare dans le concert des nations et de la consolidation de l'État russe dans ce Caucase où des « terroristes » le contestent depuis deux décennies. Alors, le Kremlin n'a pas lésiné sur les moyens.

Le chantier olympique, avec ses sites surgis en cinq-six ans à peine, a mérité le qualificatif de pharaonique. C'est vrai pour l'étendue des travaux : infrastructures, réseau autoroutier et ferré, villages olympiques, hôtels, équipements sportifs, stations de montagne, pistes, etc., ont dû être créés à partir de rien. Mais c'est vrai aussi des méthodes employées : celles qu'affectionne le régime de Poutine.

DES CONDITIONS DE TRAVAIL ESCLAVAGISTES

Pour édifier quatre cents ouvrages, on a saccagé l'environnement dans ce qui était censé être des sanctuaires de la biodiversité, sans que cela émeuve le CIO (Comité olympique international). Des centaines de milliers de travailleurs, recrutés dans les régions pauvres du pays ou dans des républiques ex-soviétiques, ont été traités comme du bétail, hébergés sur les chantiers mêmes, payés - quand ils l'étaient - à des salaires dérisoires. Le CIO, qui se rengorge de formules ronflantes sur « l'idéal olympique », n'a rien voulu en savoir. Des ONG ont protesté ? On les a fait taire. La presse russe, elle, n'a pas pipé mot : elle savait ce qu'elle risquait.

Pour financer tout cela, l'État a puisé dans la manne pétrolière. Pour faire bonne mesure, le « tsar » Poutine a un peu forcé la main des magnats de la finance Potanine et Deripaska, appelés à faire construire, à perte dit-on, certains équipements. Il n'aurait tout de même pas fallu que ces gens qui doivent tout au régime ne participent pas au triomphe de Poutine... Mais, connaissant leurs méthodes, on sait qu'ils vont se rembourser au centuple.

DERRIERE LE CLINQUANT DES VILLAGES OLYMPIQUES

La Russie de Poutine n'a certes pas le monopole de l'utilisation politique des JO, ni celui du gâchis et des détournements entourant de tels budgets. Les États qui se battent pour accueillir ce show sportif mondial en attendent des retombées en tout genre pour leurs gouvernants, et pour les entreprises et affairistes (tourisme, construction, sport, télévision, publicité, sponsoring, etc.) qui grouillent autour du pot de miel.

Dans le cas de la vitrine dorée de Sotchi, on voit tout le profit que Poutine, les autorités locales et les privilégiés du régime en escomptent. Quant à la population, si elle est appelée à applaudir aux succès des sportifs et plus encore de Poutine, ces JO ne lui apporteront rien. Ces milliards dépensés autour d'installations de prestige, dont on sait déjà qu'elles ne seront pas mises à la disposition de la population après les Jeux, auraient évidemment trouvé à s'employer dans bien d'autres domaines. À commencer par le Caucase, où un chômage massif, couplé aux exactions de l'armée et de la police du Kremlin, est le meilleur recruteur des terroristes islamistes.

Dans bien d'autres régions, où tout est laissé à l'abandon depuis la fin de l'Union soviétique, cet argent aurait aussi été bienvenu. Et même dans le domaine du sport, jadis enfant chéri du régime soviétique : aujourd'hui, en Russie, il n'y a plus ces systèmes publics qui, jadis, permettaient aux jeunes des milieux populaires de pratiquer un sport, y compris de haut niveau, pratiquement sans rien dépenser. L'adhésion à un club, l'accès aux terrains de sport sont généralement devenus si coûteux que, dans bien des cas, la pratique d'un sport n'est accessible qu'aux riches et à leur progéniture.

Tout cela est de notoriété publique. Les bureaucrates enrichis y voient la marque de leur statut de privilégiés. L'État russe n'y voit bien sûr rien à redire, mais le Comité international olympique non plus. Quant aux commentateurs, journalistes et autres, JO ou pas, en Russie ou ailleurs, ce ne sont pas les conditions des classes laborieuses qui les préoccupent le plus.

Pierre LAFFITTE

Les JO de Sotchi ont déjà décroché la médaille d'or de la corruption. Boris Nemtsov qui, avant de passer à l'opposition, fut vice-Premier ministre du président russe Eltsine, et a donc acquis une expertise de première main en la matière, avance le chiffre de 22 milliards d'euros (60 % du coût avoué de ces JO !) pour la corruption autour des seuls chantiers de Sotchi. L'estimation - encore un record - vaut ce qu'elle vaut. La flamme olympique, modèle de technologie russe dit-on, elle, ne vaut pas grand-chose. Promenée du pôle Nord au sommet de l'Elbrouz (5 642 mètres) et même dans l'espace, elle a multiplié les ratés à l'allumage : une partie des fonds destinés à sa mise au point auraient été détournés. En revanche, les « pots-de-vodka » distribués aux designers pour que ladite flamme rappelle le logo d'une marque d'alcool russe n'ont pas été versés en vain : il s'agit d'une copie conforme.

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