Les causes de la Première Guerre mondiale : « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage » (Jaurès)13/11/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/11/une2363.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Les causes de la Première Guerre mondiale : « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage » (Jaurès)

À l'heure où débutent les cérémonies commémorant la Première Guerre mondiale, certains historiens et commentateurs ont repris une thèse déjà exposée depuis plusieurs années dans les manuels scolaires. Selon eux, les causes de cette guerre ne seraient pas à rechercher dans la concurrence que se livrent entre elles les classes capitalistes rivales pour la conquête de nouveaux marchés. Ce serait « un nationalisme exacerbé », « une violence des masses » qui auraient amené un continent à s'embraser, des soldats venus des autres continents à s'entre-tuer sur les terres d'Europe car, disent-ils, les capitalistes ont besoin de la paix pour prospérer.

De telles idées, certes pas nouvelles, servent aujourd'hui à dédouaner la bourgeoisie de sa responsabilité dans le déclenchement de la guerre, en la reportant sur un prétendu « sentiment nationaliste et à une violence des masses ». C'est là confondre les causes de la guerre et les moyens que se donne la bourgeoisie pour mobiliser des populations qui, elles, n'ont rien d'autre à gagner que les blessures, la misère et la mort.

Que certains capitalistes fassent plus d'affaires en temps de paix est indéniable. Encore faut-il qu'ils aient à leur disposition de vastes marchés qui leur permettent de s'approprier toutes les matières premières nécessaires à la production et, dans un second temps, d'écouler leurs marchandises. C'est pour cette raison que l'économie capitaliste ne peut survivre qu'en gagnant sans cesse de nouveaux marchés.

Dès le milieu du 19e siècle, les bourgeoisies nationales d'Europe, aidées par leurs États, ont étendu leurs emprises respectives sur la planète.

Le Royaume-Uni et la France furent les premiers pays à se lancer à la conquête de colonies. Leur marché national étant devenu trop étroit, il leur fallait impérativement étendre leur aire d'influence. En même temps que les puissances coloniales tiraient profit du pillage des ressources naturelles de leurs colonies, celles-ci permettaient de nouveaux débouchés à leurs productions industrielles. Elles se sont ainsi partagé une grande partie de l'Afrique et des régions importantes d'Asie, avec la Belgique, le Portugal, la Hollande... et l'Allemagne loin derrière. À la fin du 19e siècle, la mainmise impérialiste sur toute la planète était achevée.

Du fait de l'unification tardive de leurs États, l'Allemagne et l'Italie s'étaient lancées après d'autres dans la conquête coloniale. De leur côté, l'Autriche-Hongrie, elle aussi tard venue dans le partage du monde, ainsi que la Russie tsariste, cherchaient à profiter de la faiblesse de l'Empire ottoman pour s'étendre dans les Balkans. La Grande-Bretagne et la France étaient également en rivalité pour se disputer les ruines de cet Empire ottoman au Proche-Orient.

Dans l'enchevêtrement des oppositions et des concurrences de toutes sortes, les tensions créées annonçaient la guerre ouverte entre les États. La France avait été au bord de la guerre avec l'Allemagne à deux reprises, en 1905 et 1911, à propos du contrôle du Maroc, et la France cultivait une attitude revancharde en réclamant l'Alsace et la Lorraine perdues lors du précédent conflit de 1871. Elle souhaitait également faire main basse sur la Sarre et ses richesses minières. L'Allemagne, à la puissance industrielle grandissante, étouffait dans ses frontières. Sa bourgeoisie rêvait des grands espaces coloniaux déjà conquis par d'autres. Cette volonté expansionniste était une menace non seulement pour la France, mais aussi pour la Grande-Bretagne qui ne pouvait tolérer que s'installe au coeur de l'Europe un État pouvant lui faire concurrence.

Les conflits d'intérêts, menaçant de conduire à un conflit armé, étaient donc nombreux en ce début de 20e siècle, et les États s'y préparaient activement. En France, en 1913, les crédits militaires avaient été augmentés et le service militaire était passé de deux à trois ans. Et depuis plusieurs années une intense propagande nationaliste se développait, menée par le gouvernement, la presse et nombre d'intellectuels.

Le « nationalisme exacerbé » conduisant à la « violence des masses » a donc été façonné, développé par tous ceux qui agissaient pour le compte de la bourgeoisie et s'efforçaient de rallier les millions d'hommes et de femmes qui allaient périr dans la première déflagration mondiale. Dans un tel contexte de lutte entre impérialismes concurrents pour s'ouvrir de nouveaux marchés, il suffisait d'une étincelle pour mener à la guerre : ce fut l'assassinat d'un archiduc autrichien par un nationaliste serbe à Sarajevo. Par le jeu des alliances, la Première Guerre mondiale éclata le 3 août 1914, entraînant dans un premier temps une grande partie des pays d'Europe, pour ensuite toucher la plupart des pays du monde.

Anatole France avait mille fois raison quand il disait : « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels et les banquiers ». Aujourd'hui, certains semblent avoir oublié cette vérité, une façon pour eux d'attribuer à leur propre bourgeoisie des qualités démocratiques, humanistes et pacifistes qu'elle n'a jamais eues et n'aura jamais.

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