Russie : Pogrome à Moscou17/10/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/10/une2359.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Pogrome à Moscou

C'est dans un quartier excentré du sud de Moscou, Birioulevo, une banlieue dortoir appauvrie comme il en existe beaucoup dans les grandes agglomérations de Russie, qu'un pogrome a eu lieu le 13 octobre.

Un homme, russe, y ayant été poignardé, la rumeur a désigné un suspect caucasien. La foule, regroupant près d'un millier de personnes, parmi lesquelles des nationalistes, se mit à saccager un entrepôt de fruits, tenu par des Caucasiens, où travaille le présumé meurtrier. Au passage, des émeutiers ont tabassé les présents au visage pas assez slave à leur goût.

En Russie, chaque jour, des hommes tuent ou sont tués à coups de couteau sous l'emprise de l'alcool. De tels crimes se produisant toutes les trois heures, jamais la presse n'en fait état tant c'est devenu banal. Et puis, cela reflète trop la misère sociale et morale qui frappe les classes populaires de Russie pour l'étaler au grand jour.

Mais, aux mêmes causes les mêmes effets, d'autres pogromes anti-caucasiens ont déjà embrasé des villes de province, telle Kondopoga en 2006, voire le centre de Moscou. À chaque fois, les autorités laissent faire les émeutiers. Et quand la police procède à des arrestations, elle s'en prend d'abord aux victimes, des migrants souvent en situation irrégulière.

Les autorités ont aussi l'habitude de nier le caractère raciste de ces émeutes de pauvres s'attaquant à plus pauvres qu'eux. Ainsi, ce directeur du Bureau fédéral russe des migrations qui a déclaré : « Dans le crime de Birioulevo, ni la citoyenneté, ni les nationalistes n'ont joué un rôle, et il n'y avait pas matière à cela. »

Bref : circulez, il n'y a rien à voir. Pourtant, ce que l'on voit, ce sont les groupes d'extrême droite qui paradent dans les rues, les stades, sur Internet, répandant la haine raciale. Ils forment des organisations officielles de lutte contre l'immigration – et peu leur importe qu'elle soit le fait de gens venus d'autres États de l'ex-URSS ou de régions de Russie à la population majoritairement non-slave. Ils menacent ces « étrangers » de la « colère russe », attaquent des foyers de migrants employés aux besognes les plus dures et les plus mal payées, dans le bâtiment, la voierie, sur les marchés.

Jamais, ou presque, ces criminels ne sont poursuivis. Et pour cause ! Le pouvoir et l'Église orthodoxe associent souvent ces groupes à leurs manifestations patriotiques ou campagnes contre la « propagande homosexuelle ». Et puis, outre les liens étroits des services de police avec l'extrême droite, celle-ci ne peut que profiter de la débauche de discours patriotards et de dénonciations à tout propos de la « main de l'étranger » à laquelle se livre le Kremlin depuis l'arrivée de Poutine au pouvoir en 2000.

Les dirigeants russes savent quelle haine la population nourrit contre ceux qu'elle voit comme des profiteurs de son malheur, des nantis, des voleurs protégés par la police. Les propriétaires du centre de stockage de fruits de Birioulevo ont de grosses voitures, ni plus ni moins que tous les parvenus du pays ; la police prélève sa dîme pour couvrir leurs trafics ; mais, comme ils ont une origine caucasienne, la police peut laisser vandaliser leur entrepôt, après avoir indiqué que le présumé meurtrier y travaillait !

Pour le Kremlin, si la « colère populaire » doit éclater – c'est ce qu'évoque « pogrome » en russe – autant l'écarter des possédants et des privilégiés en lui désignant des boucs émissaires. Le tsarisme procédait déjà de la sorte quand sa police organisait des pogromes meurtriers contre les populations juives au début du 20e siècle.

Poutine, grand admirateur du passé tsariste, soûle la population de discours patriotiques, dans l'espoir que le poison xénophobe et chauvin lui fera oublier que c'est au pouvoir, et sous son aile, que se trouvent ses oppresseurs et ses exploiteurs.

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