Grande-Bretagne : La mort de Thatcher – un symbole de la guerre de classe du grand capital10/04/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/04/une2332.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : La mort de Thatcher – un symbole de la guerre de classe du grand capital

Bien que Margaret Thatcher ait été malade et retirée de la vie publique depuis plus d'une décennie, sa mort à l'âge de 87 ans aura provoqué, en Grande-Bretagne au moins, autant de manifestations de haine que de soutien. Car la « dame de fer », comme l'avait surnommée en 1976 un journal russe, après un discours antisoviétique particulièrement virulent, reste, aux yeux des classes populaires, l'instigatrice d'une offensive du grand capital qui, depuis le début des années 1980, n'a cessé de creuser les inégalités sociales, avec les effets dévastateurs que l'on sait aujourd'hui.

C'est en 1975, après seize années d'une carrière politique assez terne, que Thatcher fut élue leader du parti conservateur, presque par hasard, après avoir été mise en avant comme candidate de diversion par la droite du parti. Quatre ans plus tard, lors des législatives de 1979, elle devenait Premier ministre suite à la victoire de son parti. Très vite discréditée dans le contexte de crise économique de l'époque, elle afficha sa fermeté contre les prisonniers politiques irlandais en laissant mourir dix d'entre eux lors de leur grève de la faim. Sa fuite en avant sur le terrain d'un populisme chauvin lui permit de se faire réélire en 1983, dans la foulée de la guerre des Malouines, puis de nouveau en 1987. Finalement, en 1990, le mouvement de révolte provoqué par un nouvel impôt particulièrement injuste pour les classes populaires (la « poll tax ») donna aux mêmes factions de la droite du parti qui l'avait portée au pouvoir un prétexte pour la contraindre à démissionner de son poste.

Contre la combativité ouvrière

Une fois Premier ministre, Thatcher dut faire face à l'héritage des cinq années du précédent gouvernement travailliste, au cours desquelles les directions syndicales, discréditées par leur soutien à la politique d'austérité du gouvernement, n'avaient cessé d'être débordées par des grèves sauvages. Cela avait culminé avec l'« hiver du mécontentement » de 1978-1979 et ses six mois de grèves, parties de l'automobile, qui avaient ensuite paralysé le secteur public durant l'hiver 1978-1979.

Prudemment, Thatcher évita de prendre les travailleurs de front, s'appuyant au contraire sur les appareils syndicaux. Dès l'automne 1979, le leader du patronat anglais, un proche de Thatcher, passait un « concordat » avec la centrale syndicale TUC, par lequel celle-ci s'engageait à mettre fin aux grèves de solidarité, à limiter la taille des piquets de grève et à restreindre le rôle des délégués élus. Un an plus tard, ce « concordat » fut institutionnalisé dans la première loi antigrève passée par le gouvernement Thatcher. Celle-ci fut renforcée en 1982, en imposant des préavis et des votes par correspondance pour tout mouvement de grève, et en rendant les appareils syndicaux civilement responsables des « dommages » résultant d'une grève menée illégalement par leurs membres.

Dans la réalité, ces lois antigrèves ne furent utilisées que bien plus tard par le gouvernement, et encore seulement dans un tout petit nombre de cas. En revanche, elles devinrent - et restent à ce jour - l'argument de choix des appareils syndicaux pour justifier leur immobilisme face aux attaques du patronat. Thatcher avait ainsi réussi à obtenir des leaders syndicaux qu'ils fassent la police dans leurs propres rangs. Cela n'empêcha pas quelques grandes grèves de marquer cette période de mise au pas de la combativité ouvrière : 14 semaines dans la sidérurgie en 1980, 12 mois dans les mines en 1984-1985, 13 mois dans l'imprimerie londonienne en 1986 - pour ne citer que les plus importantes. Toutes se terminèrent par des défaites - parce que le gouvernement leur tint tête, bien sûr, mais aussi et surtout du fait du caractère étroitement corporatiste que leur donnèrent leurs dirigeants.

Entre-temps, le TUC avait pris le tournant avec une aisance de caméléon, s'adaptant à la nouvelle situation par la politique dite du « nouveau réalisme », en faveur d'un nouveau « partenariat » avec le patronat et ses politiciens.

L'art de remplir les caisses du grand capital

On peut dire que l'année 1985 et la défaite des mineurs marquèrent un tournant dans le règne de Thatcher. Ayant fait reculer la menace de la combativité ouvrière, son gouvernement afficha sans fard son but de regonfler les profits du grand capital qui, après des décennies de sous-investissement et de parasitisme financier sur la sphère d'influence britannique, étaient au plus bas comparés à ceux des autres économies de taille comparable.

Entre 1985 et 1987, toute une série d'impôts frappant les actionnaires, les entreprises et les contribuables les plus riches, furent ainsi supprimés ou réduits de moitié. Les classes populaires payèrent le manque à gagner pour les caisses de l'État par une augmentation des impôts indirects, dont la TVA.

Un vaste mouvement de privatisation dans le secteur public (l'un des plus importants d'Europe à l'époque) fut lancé, bradant entreprise après entreprise à des prix défiant toute concurrence. Des millions de logements sociaux furent également « privatisés », faisant ainsi exploser le volume des prêts immobiliers, pour le plus grand bénéfice du secteur financier. Du même coup, la voie était ouverte à la bulle immobilière des décennies suivantes et à la crise du logement aigüe que l'on connaît aujourd'hui.

En même temps, la City, le centre financier de Londres, fut le théâtre de ce que l'on appela le « Big Bang » - la déréglementation financière qui permit de fait à toutes les entreprises de spéculer directement sur les marchés financiers. Grâce en partie à l'afflux des grandes banques américaines alléchées par la possibilité d'utiliser la City comme avant-poste en Europe, ce fut le début du gonflement colossal du secteur financier à Londres, avec tout le parasitisme qu'il implique pour le reste de l'économie.

Comme la suite le montra, cette politique, que l'on a appelé le « thatchérisme », ne fit qu'anticiper ce qui devait se passer partout dans le reste du monde industrialisé, plus ou moins de la même façon, sous tous les gouvernements, de droite comme de gauche, et pour les mêmes raisons : enrayer la baisse des profits résultant de la crise chronique de l'économie capitaliste.

Thatcher aura bien mérité de la bourgeoisie britannique pour avoir été la première à mettre en oeuvre cette politique avant que quiconque d'autre puisse le faire. Mais lorsque sa tâche remplie, son discrédit devint une menace politique en jetant des dizaines de milliers de manifestants dans les rues contre la « poll tax », ses anciens protecteurs eurent tôt fait de se débarrasser d'elle. Le pouvoir de la « dame de fer » reposait en fait sur un socle d'argile.

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