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- Lutte ouvrière n°2309
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Afrique du Sud : Les grévistes face à la répression et aux manoeuvres des appareils syndicaux
Cela fera bientôt trois mois que dure la vague de grèves sauvages déclenchée par les mineurs de Marikana et, à l'heure où nous écrivons, au moins 70 000 travailleurs sont toujours en grève dans le platine, l'or et le charbon.
Depuis le début octobre, les patrons ont tous eu recours à la même politique, licenciant une partie des grévistes, pour les diviser et disposer d'un moyen de chantage. C'est ainsi que, pour ne citer que les plus grandes compagnies, Anglo Gold a licencié 12 000 grévistes, Anglo Platinum 14 500, Harmony Gold 5 400 et GoldFields 10 000.
La pratique est courante en Afrique du Sud. Mais cette fois, les grévistes ont tenu bon. Si Anglo Gold et GoldFields ont pu redémarrer quelques mines, la plupart des grandes mines restent fermées. Même là où la grève est en principe finie, les débrayages continuent. Ainsi, le 16 octobre, les 10 000 précaires de Marikana se sont remis en grève sur les salaires. Deux jours plus tard, l'ensemble des mineurs de Marikana et du complexe voisin de Karee se mettaient en grève contre l'arrestation de deux de leurs dirigeants.
Car pendant ce temps les forces de répression continuent à quadriller les zones minières, interdisant tout rassemblement, faisant des descentes dans les bidonvilles et multipliant les arrestations dans l'arbitraire le plus total. En même temps, les travaux de la commission Farlam, chargée d'enquêter sur le massacre de Marikana, montrent comment, au plus haut niveau, le régime du président Zuma a ordonné à sa police de rétablir l'ordre, à n'importe quel prix, et comment ses porte-flingues ont abattu froidement 34 grévistes. Du coup, le ministère de la Justice tente d'enterrer la commission en décrétant que son budget ne lui permet plus de payer les frais de déplacement des témoins cités (beaucoup sont des mineurs sans le sou ou des membres de leur famille) tandis que de nombreux témoins sont arrêtés. En même temps, le ton des dignitaires du régime parlant des grévistes comme de « criminels » se fait de plus en plus haineux.
Les appareils syndicaux, eux, continuent à réclamer le renforcement de la répression contre un mouvement qui leur échappe. Mais en même temps, ils s'inquiètent du discrédit qui les menace parmi les travailleurs, mais surtout de perdre, de ce fait, leur statut de « partenaires » indispensables auprès des compagnies minières -- comme chez Impala Platinum, où le syndicat des mineurs NUM, ayant perdu la plupart de ses adhérents, devrait bientôt cesser d'être reconnu par la direction.
Sur ce terrain, le NUM a reçu l'aide des patrons miniers, obtenant d'eux des rallonges symboliques (3 à 10 %) dans l'ensemble des mines d'or et de charbon, puis un engagement d'Anglo Platinum de ré-embaucher les mineurs licenciés, avec une prime exceptionnelle de 200 euros pour toute rallonge. Mais il faut croire que le NUM ne se faisait pas trop d'illusion car son secrétaire général s'est prudemment abstenu de se rendre au meeting des grévistes d'Anglo Platinum, où il devait annoncer les « concessions » de la compagnie -- que les grévistes ont rejetées avec indignation.
De son côté, la direction de la confédération syndicale Cosatu a lancé une campagne pour la réintégration des mineurs licenciés (mais pas pour leurs revendications !), faisant miroiter la perspective d'une grève générale. Combien de travailleurs ont-ils cru au ton militant de Zwelinzima Vavi, le secrétaire général de Cosatu ? Difficile à dire. Mais, de toute évidence pas les mineurs en grève. Car lorsque Vavi a déclaré à un meeting de grévistes d'Anglo Gold réunis à Orkney, qu'il fallait « reprendre la région de Rustenburg (bastion de la grève du platine) des mains de la contre-révolution », il a dû prendre la fuite sous une volée de pierres. Une semaine plus tard, le 27 octobre, le même Vavi, le leader du NUM et le secrétaire général du Parti communiste et ministre de l'Éducation, Blade Nzimande, ont subi le même sort lorsqu'ils ont tenté, à la tête d'une centaine de permanents de Cosatu , de s'emparer de la tribune d'un grand meeting des grévistes d'Anglo Platinum, dans le stade de Rustenburg. Il faut croire que les mineurs ont compris qu'ils n'ont rien à attendre de bureaucrates syndicaux si liés aux compagnies minières et au pouvoir.
La détermination des mineurs continue à faire des émules. Ici et là des grèves sauvages éclatent, comme dans les services municipaux et les bus de Johannesburg. Ailleurs, comme dans les services municipaux des provinces du Nord-Ouest et du Limpopo, les appareils syndicaux prennent les devants en appelant à la grève. Parmi l'ensemble des affiliés de Cosatu, l'un d'eux, le syndicat de la métallurgie NUMSA, qui se veut le chef d'une file d'une tendance « lutte de classe » opposée à un soutien inconditionnel au régime, mène une campagne de grèves dans la sous-traitance automobile (Toyota et Goodyear) et les centrales thermiques. Tous ces mouvements ont en commun de revendiquer des hausses de salaires et l'embauche de tous les travailleurs précaires -- comme cela avait été déjà le cas lors de la grande grève du secteur public de 2010.
La classe ouvrière sud-africaine est en train de démontrer, une fois de plus, de quelle puissance elle dispose quand elle choisit de s'en servir. Mais, une fois de plus, ce qui lui manque, c'est un parti représentant ses intérêts politiques, un parti communiste révolutionnaire, capable d'unifier ses rangs derrière une perspective commune.