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Dans les entreprises
À Aulnay-sous-Bois : Après le choc, les salariés s'organisent
Cela faisait plus d'un an que la CGT avait révélé les projets secrets de la direction visant à fermer l'usine en 2014. Mais pour beaucoup d'ouvriers, il y avait encore de l'espoir tant que la direction n'avait pas fait d'annonce officielle. C'est chose faite, et de plus en plus de travailleurs comprennent qu'il ne faut faire aucune confiance à la direction.
Dans les jours qui ont précédé le CCE du 12 juillet, chacun se demandait ce qui allait en sortir. Y aurait-il une annonce de fermeture ou encore du baratin pour lanterner les ouvriers ? Jusqu'à la dernière minute, la direction a menti en affirmant qu'il n'y aurait aucune annonce, qu'il faudrait attendre le 25 juillet. Le 12, des débrayages de protestation étaient prévus en milieu de journée, pour s'informer des intentions de la direction.
Avant même que les travailleurs soient officiellement informés, la direction, au siège parisien du groupe, distribuait aux journalistes massés sur le trottoir un communiqué annonçant la saignée. L'information a rapidement circulé et, dans l'usine même, les délégués ont commencé à la diffuser. Puis, à 8 h 30, dans les réunions d'unités, l'annonce est tombée, officiellement et brutalement : l'usine sera fermée en 2014.
Selon les secteurs, les réactions ont été différentes. Dans un premier temps, l'abattement a prévalu. Même parmi ceux qui, depuis un an, ont milité pour dévoiler le plan secret du PDG Varin, certains étaient sous le choc. Le long des chaînes, des ouvriers étaient en larmes, assis par terre la tête dans les mains, incapables de se lever, traumatisés. Ailleurs, les cadres ont commencé à payer le prix de leurs mensonges. Dans un secteur, alors qu'un cadre essayait d'empêcher un délégué de parler, il a été pris à partie par les ouvriers : « Lui, depuis un an, il nous dit la vérité alors que toi tu mens. Et on ne l'a pas cru à cause de toi ! Alors maintenant, tu te tais, et c'est lui qui parle ! »
Par sa stupidité et son arrogance, la direction de l'usine a réussi à transformer très vite l'abattement en écoeurement. Alors que les chaînes étaient arrêtées pendant les briefings, le directeur faisait savoir que les ouvriers avaient royalement droit à « une heure pour téléphoner à leur famille »... mais qu'après, le travail devait reprendre ! Elle y a gagné que l'usine est restée arrêtée toute la journée. Dès 10 h 30, les plus déterminés se sont retrouvés en assemblée générale où il fut décidé que tout le monde se retrouverait au changement d'équipe sur le parking et que d'ici là, on irait en manifestation « participer » à 11 heures à la conférence de presse du directeur de l'usine. À l'heure dite, un cortège de plusieurs centaines d'ouvriers est arrivé au rendez-vous en scandant « PSA assassin ! Aucune usine ne doit fermer ! », devant des dizaines de journalistes, de caméras et de micros tendus. Le directeur a annulé courageusement sa conférence et s'est enfui pendant que les travailleurs profitaient de la présence des médias pour exprimer leur dégoût.
800 ouvriers en assemblée
Juste après le repas, l'assemblée qui a lieu sur le parking a réuni quelque 800 travailleurs -- c'est le plus important rassemblement qui ait eu lieu depuis bien des années. Il y avait beaucoup de visages nouveaux, d'ouvriers qui, jusque-là, n'étaient jamais venus à une réunion syndicale. Un délégué de la CGT présent au CCE du matin a rapporté aux ouvriers ce qui avait été dit et démonté les mensonges de la direction. Tous les syndicats qui se sont exprimés, ont dit leur détermination à se battre contre la fermeture. Enfin, le secrétaire de la CGT a pris la parole pour demander à chacun de s'engager à se battre tous ensemble contre les projets de la direction, dans une lutte collective qu'il faudra organiser. Il ne s'agit pas de partir dès maintenant dans une grève de plusieurs mois, mais de trouver les moyens d'agir collectivement pour faire reculer PSA. Pour cela, il sera nécessaire de s'adresser, dès que possible, à tous les salariés du groupe -- car tous sont concernés, autant ceux qui vont perdre leur emploi dans le plan de licenciements que tous les autres, ceux de Poissy, Mulhouse, Sochaux qui resteront et seront surexploités pour faire le travail des licenciés. Et au-delà, il faudra aussi trouver les voies et les moyens de s'adresser aux travailleurs des autres secteurs.
Lorsque le camarade a demandé à tous s'ils étaient prêts à s'engager solennellement à se battre tous ensemble contre la fermeture, toute l'assemblée a levé la main comme un seul homme. L'orateur a expliqué alors que la lutte devra être menée démocratiquement, avec l'apport de tous, syndiqués ou pas, et pas seulement dirigée par les militants syndicaux. Pour cela, il a proposé que soit créé un Comité de préparation de la lutte, élu et révocable, dont pourraient faire partie tous les travailleurs qui le souhaitent. Le principe de ce comité a été adopté à l'unanimité.
La journée du 13 juillet
Le lendemain, vendredi 13 juillet, l'ambiance a changé dans l'usine. Ce n'est pas la grève, mais les travailleurs ont décidé que désormais ce sont eux, et non plus les chefs, qui décideront du rythme de travail. Dans un secteur, des ouvriers ont dit au chef : « Toutes les deux voitures, on prend un quart d'heure pour discuter. » Ailleurs : « On a décidé qu'on allait essayer de faire 100 voitures dans la journée » -- la cadence normale étant de 351. Partout, des réunions spontanées se sont tenues, regroupant parfois quelques dizaines, parfois plusieurs centaines de travailleurs. Dans ces réunions, chacun a vidé son sac -- un ouvrier a raconté ses « 37 ans de maison sans une grève », ajoutant même avoir manifesté contre les grévistes. « Aujourd'hui à deux ans de la retraite, voilà où j'en suis ? Maintenant c'est fini ! » Cet ouvrier se portera candidat au Comité de préparation de la lutte.
Dans un secteur du ferrage, où les robots sont tombés en panne, les ouvriers chargés de la maintenance ont décidé qu'ils n'étaient pas compétents pour réparer. La Maintenance centrale, appelée à la rescousse, a dit qu'elle n'avait pas envie de réparer non plus. Le chef du personnel de l'atelier, qui n'avait apparemment pas une très claire conscience des rapports de force, est venu provoquer les ouvriers : « Au travail ! » La colère a explosé et le cadre s'est pris en pleine figure la rage des ouvriers : « Puisque tu veux fermer l'usine, pourquoi tu ne te barres pas maintenant ? Casse-toi ! ». Il est parti la tête basse, sous les huées et les sifflets. Les chaînes étant restées arrêtées, une réunion a rassemblé la quasi-totalité des ouvriers de l'atelier ferrage, qui ont discuté, longuement et très sérieusement, de ce qu'il fallait faire à présent. Comment s'organiser ? Pour faire quoi ? Qu'est-ce que le Comité de préparation de la lutte, comment cela peut-il fonctionner ? De telles réunions ont eu lieu presque partout dans l'usine, toute la journée.
Des anciens de la grève de 2007, qui étaient membres du Comité de grève, ont raconté comment cela s'était passé et expliqué aux autres en quoi c'est la façon la plus efficace de lutter. Non seulement la lutte doit être dirigée par les travailleurs eux-mêmes, expliquaient-ils, mais qu'il faut que ce soient les nôtres qui soient les porte-parole, pas des délégués centraux qu'on ne connaît pas et qu'on ne contrôle pas -- comme l'a déjà annoncé le patron. Il a été discuté de la façon dont peut fonctionner le Comité : le principe, c'est que ses membres seront à égalité, syndiqués ou pas, c'est « un homme, une voix ». Il se constituera des comités par secteur, par atelier, qui demain devront se fédérer sur toute l'usine.
Dans les réunions, les volontaires se sont présentés pour être élus au Comité de préparation. Dans certains secteurs, des travailleurs ont demandé à attendre lundi pour désigner les volontaires : « C'est une chose trop sérieuse pour se décider tout de suite. Je veux réfléchir ce week-end, en parler chez moi. » Il a été décidé que de nouvelles réunions se tiendraient le lundi. Et dès le début de la semaine, en effet, des réunions de plusieurs dizaines de travailleurs se sont tenues par secteur, où des délégués au Comité ont été élus.
Oui, l'ambiance a changé dans l'usine. Le patron aura au moins réussi à fédérer tout le monde contre lui, à faire tomber les illusions, et à faire grandir le nombre de travailleurs qui pensent que désormais leur avenir dépend de leurs luttes.