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Dans les entreprises
SeaFrance -- Calais : Une Scop entre les dents des requins du transmanche
Au grand soulagement de centaines de salariés réunis à Calais, le tribunal de commerce de Paris a finalement décidé qu'Eurotunnel pourrait reprendre les trois navires de l'ex-SeaFrance, ce qui débloque une des voies à la création d'une Scop, une Société Coopérative et Participative, et à la réembauche promise d'au moins cinq cents marins et employés.
Mais la Scop SeaFrance, si les tribunaux lui prêtent vie, va naître directement sur le terrain de chasse des capitalistes du transmanche. Les deux concurrents déjà en place sur le transport ferries, P&O et LD-Lines, envisagent de porter plainte à Bruxelles pour concurrence déloyale, ne serait-ce que parce que la SNCF, son ancien propriétaire qui a coulé SeaFrance, abandonnerait 180 millions d'euros d'arriérés, et parce que la SNCF verserait 25 000 euros à chaque employé qui intègrerait la Scop et les y investirait.
Que décideront les tribunaux ? Combien demanderaient-ils aux salariés de la Scop de reverser à la SNCF, au risque d'un second naufrage ? Personne ne le sait d'avance...
Si la Scop voit le jour, ce sera une entreprise comme les autres.
Le PDG d'Eurotunnel déclarait ces derniers jours que le personnel de la Scop devra se plier à « des conditions de productivité équivalente à celle de la concurrence » qui ne pourront qu'être plus élevées que celles de l'ex-SeaFrance.
Le futur directeur de la Scop serait Jean-Michel Giguet, un patron comme les autres... Les dirigeants de l'ex-CFDT SeaFrance, qui portent le projet de la Scop, se disent ravis de l'arrivée de ce « grand professionnel des transports », encore récemment directeur général de Brittany Ferries, auparavant directeur pour l'Ile-de-France de la chaîne d'hôtels haut de gamme Pullman et, avant encore, de la Compagnie des wagons-lits...
Hasard du calendrier ? Brittany Ferries vient d'annoncer un plan de suppression de traversées et des réductions de coûts salariaux, à cause d'une « conjoncture maussade » et des diminutions de revenus, suite à la faiblesse de la livre sterling...
Alors quel sera le niveau des salaires et les conditions de travail que devront s'imposer les salariés de la Scop s'ils veulent résister à la concurrence ?
Si les actionnaires d'Eurotunnel semblent les ardents défenseurs du projet de Scop, c'est qu'ils escomptent une bonne affaire.
Déjà ils ont pu acquérir trois navires -- dont deux relativement récents -- pour 65 millions d'euros, alors que, début 2012, leur valeur était encore estimée de 150 à 200 millions d'euros. Les actionnaires d'Eurotunnel bénéficieraient, dès le départ, d'un bonus de 200 à 300 millions d'euros.
Comme Eurotunnel louerait à la Scop les trois navires et sans doute aussi la marque SeaFrance -- dont elle est devenue propriétaire -- ce ne sont pas les salariés de la Scop qui seraient en position de force, mais les actionnaires d'Eurotunnel.
Eurotunnel achèterait au début 100 % des places, mais baissera ensuite pour laisser la Scop se débrouiller. Mais si la Scop coule, les salariés auront perdu leurs indemnités de licenciement, n'auront aucun capital et ce sont les actionnaires d'Eurotunnel qui en bénéficieront.
Dans le monde politicien, tout le monde applaudit pourtant à cette « solution » bien aléatoire pour les marins et les employés.
Natacha Bouchart, la maire UMP de Calais, évoque toujours le million d'euros que la ville de Calais pourrait verser à la Scop. Mais, même s'il se concrétise, ce ne sera qu'une goutte d'eau, à peine un mois de salaire pour cinq cents salariés.
Frédéric Cuvillier, le ministre délégué aux Transports et à l'Économie maritime, ment bien sûr, comme un ministre : « La justice a retenu une solution pérenne sur le plan économique et favorable à l'emploi, tout en respectant l'intérêt des créanciers... » Solution « pérenne » ? Cette entreprise peut très bien se retrouver coulée par ses concurrentes, notamment par la baisse temporaire des prix, comme cela s'est déjà fait. Et aucune banque ne prêtera à une entreprise dans de telles conditions pour l'aider à survivre, encore moins à une Scop.
Daniel Percheron, président PS de la région Nord-Pas-de-Calais « s'attachera à poursuivre le travail mené en commun avec Eurotunnel et les porteurs de la Scop... ». Même Jacky Hénin, député européen du PCF, y est allé de son mensonge diplomatique : « Les salariés vont pouvoir rentrer, la tête haute dans leur entreprise, faire la démonstration de leur capacité à gérer collectivement une société qui devrait rester l'une des plus importantes du Calaisis ».
Si la Scop SeaFrance est coulée par ses concurrentes capitalistes, faudra-t-il en déduire que « les salariés ont fait la preuve de leur incapacité à gérer collectivement une société » ? Bien sûr que non !
Les salariés -- et pas seulement ceux de SeaFrance -- seraient tout à fait capables de gérer une entreprise, mais là ce n'est pas de la gestion, c'est du massacre social au profit des actionnaires capitalistes qui se moquent complètement des intérêts des voyageurs et encore plus de ceux des salariés.