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Algérie : Ahmed Ben Bella et l'illusion du « socialisme arabe »
Ahmed Ben Bella, qui vient de mourir le 11 avril à 95 ans, avait personnifié de 1962 à 1965 l'Algérie indépendante et les espoirs qu'elle suscitait. Né en 1916, il fut l'un des neuf chefs historiques du Front de libération nationale (FLN), l'organisation nationaliste algérienne qui prit le pouvoir en 1962 à l'issue de huit années de guerre contre le colonialisme français.
Issu d'une famille de petits paysans, ayant réussi le brevet, Ben Bella combattit durant la Seconde Guerre mondiale dans les forces armées françaises, notamment à la bataille de Monte Cassino. Il en sortit adjudant et décoré. Les massacres perpétrés par l'armée française à Sétif et Guelma le 8 mai 1945, jour fêté en France comme celui de la « libération », le firent adhérer au parti nationaliste de Messali Hadj, le PPA -- MTLD. D'abord conseiller municipal puis membre de la branche armée de ce mouvement, il participa au casse de la poste d'Oran destiné à financer le parti. Arrêté en 1950, emprisonné, il s'évada en 1952 et rejoignit d'autres cadres nationalistes au Caire. Le succès du coup d'État des « officiers libres » égyptiens les encouragea à lancer la lutte armée en Algérie à la Toussaint 1954, rompant avec Messali Hadj et fondant le FLN.
Le premier dirigeant de l'Algérie indépendante
En 1956, l'avion conduisant Ben Bella en Tunisie en compagnie de quatre autres cadres du FLN fut détourné par l'armée française. Emprisonnés en France, à l'île d'Aix, ces dirigeants nationalistes algériens ne furent libérés qu'à l'indépendance en 1962. Libre, Ben Bella retrouva les luttes internes au sein du FLN, mais il en sortit comme le principal bénéficiaire. Devenu président du Conseil de l'Algérie indépendante le 27 septembre 1962, puis secrétaire général du bureau politique du FLN, il se fit élire président de la République en 1963.
En réalité, Ben Bella n'avait pu s'imposer que parce que le chef d'état-major Houari Boumediene était derrière lui. Mais celui-ci travaillait à réduire progressivement le pouvoir des autres dirigeants du FLN en s'appuyant sur sa force armée.
Dans l'immédiat, ce fut Ben Bella qui réussit à coiffer l'auréole de héros de l'indépendance. À une époque où les nationalistes radicaux du Tiers Monde se paraient volontiers de l'étiquette « socialiste », l'étatisation des moyens de production s'imposait comme mesure indispensable pour bien des pays sous-développés qui, après avoir arraché l'indépendance politique, aspiraient à une indépendance économique, difficile à acquérir dans un monde dominé par l'impérialisme.
La division du monde en deux blocs permettait alors de contrebalancer la pression impérialiste. Soutenu par l'Égypte et par Cuba, Ben Bella se rapprocha de la Chine et de l'URSS. Face aux difficultés économiques et sociales du jeune État indépendant, il prôna l'intervention de l'État dans l'économie et l'autogestion pour tenter d'avoir l'appui des ouvriers et des paysans. Mais le « socialisme arabe » invoqué par Ben Bella, à l'exemple de Nasser, resta un thème de discours. Et s'il fut beaucoup question d'« autogestion » ou de « socialisme » ces années-là, d'autres forces étaient à l'oeuvre.
Du « socialisme arabe » à la dictature de Boumediene
Dès sa naissance, le FLN s'était méfié de la classe ouvrière et des masses déshéritées. Le recours à la lutte armée menée par un appareil clandestin, spécialisé et sans contrôle possible pour la population, n'avait pas eu le seul objectif de chasser l'armée française, mais aussi celui de conforter le pouvoir des dirigeants nationalistes sur l'Algérie. Ils éliminèrent non seulement toute autre organisation nationaliste concurrente, comme le MNA resté fidèle à Messali, mais aussi dans leurs propres rangs les opposants possibles. Et dès l'indépendance, derrière les phrases sur le « socialisme arabe », dans tous les domaines ces tendances centralistes de l'appareil d'État continuèrent à agir. L'armée des frontières de Boumediene, devenue armée tout court, fit rentrer dans le rang les maquisards de l'intérieur, et les militaires s'emparèrent d'une partie de l'économie. L'administration et les nouveaux cadres du FLN suivirent la même voie. Et en juin 1965 le dauphin proclamé de Ben Bella, Boumediene, finit par se débarrasser de lui par un coup d'État.
Ben Bella déchu fut emprisonné pendant quatorze ans, jusqu'en 1979, avant d'être assigné à résidence et de pouvoir s'exiler en Suisse en 1981. À la fin des années quatre-vingt, il tenta d'instaurer un compagnonnage avec les islamistes en plein essor, s'habillant en croyant et s'affichant avec sa femme désormais voilée. Ce fut sans succès. À la fin de la décennie sanglante opposant les islamistes du FIS à l'armée algérienne, Ben Bella n'eut pas d'autre politique à offrir que de soutenir Bouteflika et sa tentative de tourner la page, en jetant un voile sur les événements.
Après avoir été longtemps relégué dans les coulisses, Ben Bella a eu droit à sa mort à des funérailles nationales et à l'hommage de l'État algérien. Au fond, il l'a mérité car, pendant ses quelques années de pouvoir, il a représenté une transition indispensable, en entretenant auprès des masses algériennes l'illusion que l'indépendance allait signifier l'émancipation non seulement nationale mais sociale. Puis il a cédé la place, derrière l'armée, aux représentants d'une bourgeoisie algérienne décidée à profiter ouvertement de sa nouvelle position dominante.
La révolution sociale, celle qui représentera une véritable émancipation pour les travailleurs et les masses pauvres d'Algérie, reste encore à faire.