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- Lutte ouvrière n°2257
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Dans les entreprises
Montupet -- Fonderie du Poitou Alu -- Ingrandes (Vienne) : Huit semaines de grève, ça rend fort !
Vendredi 28 octobre à 5 h 30, lorsque les travailleurs de l'équipe du matin ont franchi l'entrée en un cortège serré pour reprendre le travail, ils ont mis fin à une grève de huit semaines jour pour jour, la plus longue qu'aient connue les Fonderies du Poitou depuis leur création par Renault en 1980. Et en dépit des incertitudes qui pèsent sur l'avenir-même de la Fonderie Alu, c'est avec un solide moral qu'ils l'ont fait.
En commençant la grève le 2 septembre, les travailleurs n'étaient sûrs que d'une chose : s'ils n'engageaient pas la lutte, leur patron -- le groupe de fonderie Montupet -- allait leur imposer une baisse de 25 % des salaires dans le but d'accroître la rentabilité. Là où d'autres avant eux avaient cédé au chantage dans l'espoir illusoire de préserver leurs emplois, les travailleurs de la fonderie n'ont pas fléchi. Et au fil des semaines, au fil des actions vers les travailleurs de nombreuses entreprises, leur conviction n'a fait que se renforcer. Il arrive un point où il faut dire « ça suffit », où il faut cesser de reculer. Subir les dures conditions du travail de fonderie, l'exposition aux produits dangereux, les horaires d'équipe pour se retrouver payés au smic au bout de trente ans, ça ne passait pas !
Les derniers jours de la grève ont été tendus, éprouvants. Depuis la manifestation réussie à Châtellerault le 20 octobre, la grève était devenue plus statique, les grévistes venant aux nouvelles devant les locaux du Comité d'entreprise. Il y avait certes de la fatigue, mais aussi le fait que certains syndicalistes militaient pour la reprise. Pour ces derniers, en reprenant le travail, il s'agissait de faire à l'administratrice nommée dans le cadre de la mise en redressement judiciaire de la Fonderie, et à d'éventuels repreneurs, la démonstration de la viabilité de l'entreprise.
Du côté des grévistes, une idée revenait comme un leit-motiv : on ne peut pas reprendre après plus de sept semaines de grève sans la moindre garantie.
C'est dans cet état d'esprit que se tint mercredi 26 octobre une assemblée générale qui allait peser lourd pour la suite. Le secrétaire de l'UD-CGT mit son poids dans la balance pour convaincre de reprendre le travail dès le lendemain jeudi 27, jour où devait se tenir à Paris une rencontre avec le ministre de l'Industrie Besson. Ce syndicaliste expliqua en substance que puisque Montupet s'était déclaré en cessation de paiement, puisqu'il avait manifesté son intention de lâcher la fonderie d'Ingrandes, il s'agissait maintenant de partir à la conquête du marché des culasses pour Renault, de damer le pion à Montupet désormais redevenu le concurrent qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être.
De l'assemblée générale, une intervention succéda défendant l'idée qu'on ne pouvait pas reprendre ainsi sans la moindre garantie. Et puisque la grève avait été assez forte pour poser un problème aux pouvoirs publics, il fallait rester en grève au moins le lendemain pour donner à la délégation qui rencontrerait le ministre le poids d'une grève encore vivante. Après des discussions très animées, l'intersyndicale reprit la proposition de poursuivre la grève le jeudi, proposant de voter le principe d'une reprise du travail vendredi 28 au matin, à confirmer en assemblée le 27. Cette proposition fut votée à la quasi-unanimité, avec le sentiment de ne pas avoir lâché la proie pour l'ombre. Nombre de grévistes exprimaient l'idée que de toute façon, quoi qu'il advienne, le pire aurait été de ne pas avoir engagé la lutte contre le plan de Montupet.
À l'assemblée du jeudi, les grévistes apprirent plusieurs nouvelles. Le protocole d'accord de fin de conflit, que personne ne pouvait paraît-il signer du côté patronal du fait de la défaillance de Montupet, avait trouvé des signataires en la personne de l'administratrice judiciaire et du mandataire judiciaire. Ce protocole, comportant principalement la renonciation au plan de compétitivité, une concertation dans un délai de quinze jours sur « l'organisation hiérarchique » des services de direction qui devrait aboutir à la mise à l'écart des plus exécrés des cadres dirigeants, et la renonciation à toute sanction pour fait de grève, fut signé par les représentants des syndicats, sous la médiation du préfet de région et du directeur départemental du Travail.
De son côté, le ministre de l'Industrie expliqua à la délégation syndicale avoir obtenu du PDG de Renault, Carlos Ghosn, l'engagement d'attribuer des commandes à la fonderie d'Ingrandes. Il dit en outre avoir fait engager un audit de la fonderie dès le 24 octobre, dont les résultats devaient lui être fournis dans les tout prochains jours. Il annonça enfin avoir sollicité le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles pour chercher des repreneurs.
Bien sûr, ces engagements ne valent que ce que valent des paroles de ministres, et chacun sait que la menace d'une fermeture pure et simple de la fonderie n'est pas écartée. Mais ce qui donne confiance aux travailleurs de la fonderie, ce qui gage en quelque sorte les engagements des uns et des autres, c'est le poids encore vivant de huit semaines de grève, la force soudée en un seul bloc au fil des semaines qui en résulte. C'est cette force qui leur a permis d'entrer dans la fonderie lors de la reprise en scandant une fois encore les slogans de la grève, et qui leur a donné assez de détermination pour aller dire à deux doigts des moustaches aux chefs non grévistes qu'ils n'avaient pas intérêt à s'en prendre à un seul d'entre eux.