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Leur société
Finances publiques : Au bonheur des rentiers
La Cour des Comptes vient de rendre son rapport annuel sur les finances publiques et leurs perspectives. Fin 2010 la dette publique atteignait 1 600 milliards d'euros, soit 82 % du produit intérieur brut annuel -- la richesse produite en une année selon le mode de calcul officiel.
L'État paye 50 milliards d'euros d'intérêts par an à ses créanciers, soit l'équivalent du budget de la Défense et du Travail réunis. Par le simple jeu du refinancement -- emprunter pour payer ses dettes -- et de l'augmentation des taux d'intérêt, la dette va grandir et sa charge augmenter. La croissance de l'endettement et sa vitesse dépendent en fait des marchés financiers. Si les grandes banques internationales, y compris françaises, voient une possibilité de spéculer sur la dette française comme elles spéculent sur la dette grecque, elles le feront.
Dans cette perspective, les recettes proposées par la Cour des Comptes et son président, Migaud, un socialiste nommé à ce poste par Sarkozy, sont celles qu'appliquent tous les gouvernements : faire payer la population par tous les moyens afin de réduire les déficits. Migaud commence d'ailleurs sa présentation par un coup de chapeau à la réforme des retraites. Mais le rapport évoque aussi, brièvement il est vrai, les raisons de l'accumulation de la dette : elle serait due pour 40 % aux dépenses engendrées par la crise commencée en 2008 et pour 60 % aux baisses de recettes de l'État, c'est-à-dire aux diminutions d'impôt accordées aux entreprises, surtout les grandes, et aux particuliers, uniquement les riches. Ces baisses d'impôt comme l'augmentation des déficits ont commencé bien avant septembre 2008.
Ainsi, le taux d'imposition des bénéfices des entreprises est passé de 45 % en 1986 à 33,3 % aujourd'hui. De plus, par le jeu des dérogations, niches fiscales et crédits d'impôts, les plus grandes entreprises ne payent en moyenne que 8 % d'impôt sur les bénéfices. Les « dépenses liées à la crise », qui représenteraient 40 % du déficit, sont en fait des cadeaux à ces mêmes grandes entreprises, sous forme de prêts à bon marché, de commandes ou même de dons. Cet afflux d'argent public leur a servi pour continuer à verser des dividendes et même souvent à les augmenter.
Favorisé comme actionnaire, le riche rentier l'est aussi comme contribuable, car la tranche la plus haute du barème de l'impôt direct est passée, durant la même période, de 65 % à 40 %, compte non tenu des multiples niches qui permettent de le réduire. Le bouclier fiscal, récemment supprimé car trop provoquant, n'était qu'une (belle) cerise sur un énorme gâteau où la crème s'accumule depuis près de trente ans.
L'État a donc dû compenser ce manque à gagner volontaire par l'emprunt. Mais la dette publique, officiellement condamnée par tous les gouvernements même lorsqu'ils la creusent, n'est pas un malheur pour tout le monde. Les cinquante milliards d'intérêts payés cette année ne s'évaporent pas, mais tombent dans l'escarcelle de ceux qui ont les moyens de prêter à l'État... l'argent qu'il leur avait offert les années précédentes sous forme de diminution d'impôt !
Tout va ainsi dans les mêmes poches, celles de la mince couche de la haute bourgeoisie, qui voit ses avoirs enfler démesurément sans rien faire d'autre que d'exister. Cet énorme transfert se monte à bien plus que l'encours de 1 600 milliards d'euros, même en considérant le cumul depuis trente ans. Il s'exprime aussi en classes et hôpitaux fermés, suppressions de postes dans la fonction publique, déficit de la Sécurité sociale, routes non entretenues, privatisations et délabrement général du service public, pénurie de logements bon marché : le capital se paye sur la bête.