Kadhafi menait la guerre aux migrants, les gouvernements européens la commanditaient09/03/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/03/une-2223.gif.445x577_q85_box-0%2C14%2C164%2C226_crop_detail.png

Dans le monde

Kadhafi menait la guerre aux migrants, les gouvernements européens la commanditaient

Les dirigeants européens brandissent la peur de l'invasion d'immigrants venant de toute l'Afrique et profitant de la chute des gouvernements égyptien et tunisien, mais surtout de la situation en Libye. « Nous savons ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur des flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme », avait dit Sarkozy.

Fillon, dans le même sens, espère « éviter » des flux « incontrôlables » depuis l'Afrique du Nord. Et Guéant, le nouveau ministre de l'Intérieur, affirmant péremptoirement qu'il y aura « des flux migratoires importants », promet de « lutter contre l'immigration irrégulière ». Laurent Wauquiez, le ministre des Affaires européennes, sollicite l'aide des autres gouvernements, parlant de : « 200 à 300 000 personnes qui, sur l'année, pourraient chercher à franchir la Méditerranée en direction de l'Europe ».

L'Italie est en première ligne, car les côtes libyennes et tunisiennes sont très proches et ses dirigeants tiennent le même discours. Le ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini, a évoqué l'arrivée possible de « centaines de milliers de réfugiés », prédisant un « exode biblique ».

Tous ces dirigeants sont les mêmes qui, depuis plusieurs années, ont érigé le dictateur Kadhafi en garde-frontières modèle de l'Europe, qui l'ont reçu, financé, lui ont donné une respectabilité, en échange de son engagement à arrêter les migrants du continent africain.

Déjà, en 2004, l'accord conclu entre Kadhafi et Berlusconi avait bien avancé les choses dans ce sens. L'Italie promettait le versement de 200 millions de dollars par an sur 25 ans, soit 5 milliards en tout. En outre, à titre de compensation pour les dommages de l'époque de la colonisation italienne, Berlusconi avait promis d'investir quelques milliards, sans compter les 520 km de pipe-line reliant la Sicile à la Libye, construit et géré par la société pétrolière italienne ENI, des milliards qui devaient ainsi revenir en grande partie à des capitalistes italiens. Depuis mai 2009, des patrouilles italo-libyennes surveillent donc les côtes libyennes. Le dernier accord avait prévu le financement par l'Italie de plusieurs centres de détention pour regrouper en Libye les migrants en provenance d'Afrique centrale.

L'Union européenne a conclu également des accords de ce type. Avec d'abord un accord cadre en 2008 sur les migrations, puis une aide de 50 millions sur deux ans, toujours pour le rôle de garde-frontières des mers assigné au régime de Kadhafi.

Le gouvernement italien s'est félicité de cette politique puisque le nombre d'arrivées de migrants est passé de 36 000 en 2008 à 4 300 en 2010.

Il est vrai que la Libye était devenue pour nombre de migrants la dernière étape avant l'Europe. Sa proximité avec les côtes européennes, ses 4 000 km de frontières, les difficultés pour passer ailleurs, en particulier par le détroit de Gibraltar devenu de moins en moins franchissable, y ont fait affluer des centaines de milliers de personnes, même si les estimations varient considérablement.

Le Parlement européen s'est dit préoccupé par le traitement et les conditions de vie déplorables des personnes détenues dans les camps en Libye et les rapatriements massifs d'étrangers de la Libye vers leur pays d'origine dans des conditions n'assurant ni leur dignité ni leur survie. Un officiel italien décrivait en 2006 les centres de rétention libyens comme des camps « nauséabonds » où les clandestins ramassés étaient jetés « comme des chiens », des camps prévus pour 100 personnes mais qui en accueillaient 650, sans la moindre hygiène.

Combien ont payé de leur vie leur désir de se rendre en Europe en espérant pouvoir y vivre dignement ?

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