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Tunisie : Les travailleurs face aux tentatives de reprise en main
Plus de trois semaines après la chute de Ben Ali, le gouvernement tunisien voudrait normaliser la situation. Les parlementaires, élus, c'est-à-dire désignés du temps du dictateur et par lui, ne lui ont pas mégoté leur soutien et ont montré leur sens de la continuité de l'État : 177 d'entre eux sur 195 ont en effet voté les pleins pouvoirs au nouveau gouvernement.
Ce dernier a donc pu prendre quelques mesures qu'il croyait propres à tromper la population : quarante-deux hauts responsables de la police ont été destitués ainsi que vingt-quatre gouverneurs de province, les hauts fonctionnaires qui représentent l'État dans les régions. Le parti de Ben Ali, le RCD, est suspendu en attendant d'être dissous.
Il n'empêche que des manifestations ont eu lieu samedi 5 et dimanche 6 février dans différentes villes. Elles ont été réprimées par la police. Officiellement, deux manifestants ont été tués par balle et un par un tir tendu de grenade lacrymogène, mais le syndicat UGTT parle de cinq morts. Le gouvernement affirme que les manifestants qui ont alors incendié des commissariats de police, des bâtiments publics et des locaux du RCD sont des provocateurs et des délinquants payés par le RCD. Mais peut-être sont-ils tout simplement des gens révoltés par le fait que la police de Ben Ali sévit toujours !
Dans de nombreuses villes, lorsque la population a constaté que les nouveaux gouverneurs nommés par le gouvernement étaient de vieux caciques du RCD, elle est descendue dans la rue immédiatement. À Gabès, Kébili, Zaghouan, Nabeul et Béja le nouveau gouverneur est déjà reparti, bien souvent protégé par l'armée.
Dans certaines villes les manifestations de protestation contre les nouveaux gouverneurs ont été aussi l'occasion d'exprimer les revendications des travailleurs, parfois venus d'entreprises en grève : titularisation, augmentation des salaires, liberté syndicale. Certaines manifestations se sont dirigées vers les locaux de l'inspection du travail pour exiger l'amélioration des conditions de vie des travailleurs. Des grèves ont eu lieu dans des usines de chaussures, dans le textile, dans les transports, dans les ports, dans des municipalités, etc.
Dans la région de Gafsa, centre de production des phosphates, la lutte a pris un tour aigu. En 2008 déjà une quasi-insurrection des travailleurs exigeant des embauches avait été violemment réprimée par la dictature. La population travailleuse a repris ses revendications de 2008. La production est quasiment à l'arrêt depuis deux semaines, les routes sont barrées, les manifestations se succèdent. La compagnie des phosphates a dû promettre que des centaines de travailleurs seraient embauchés. Dans ces circonstances, le nouveau gouverneur arrivé dimanche 6 février, qui paraissait du même acabit que celui qui avait orchestré la répression de 2008, n'a dû son salut qu'à la fuite et à la protection de l'armée.
Se souvenant que le mouvement contre Ben Ali avait commencé par les revendications des jeunes diplômés sans travail, le gouvernement leur a promis une allocation spécifique. Mais nombre de ces jeunes ont participé aux manifestations pour exiger du travail pour tout le monde.
Aussi, mardi 8 février, le gouvernement tunisien a fini par prendre une mesure concrète : il a rappelé les réservistes ayant effectué leur service militaire ces cinq dernières années ainsi que la classe 2009 et une partie de la classe 2008. Ne pouvant pas, pour l'instant, s'appuyer sur une police honnie et faisant face à une population mobilisée, le gouvernement essaye apparemment de renforcer l'armée. Mais bon nombre de rappelés ont participé aux manifestations et donneront peut-être du fil à retordre aux officiers.
D'un côté, les puissants, l'État, et derrière eux la France et les États-Unis, affirment que la démocratie est en marche... et préparent leurs forces de répression pour que rien ne change dans l'ordre social. De l'autre, des travailleurs expriment leurs propres revendications, leur méfiance à l'égard du nouveau gouvernement et continuent à manifester : la vraie révolution tunisienne est encore à faire.