Égypte : Pour avoir le droit au pain et à la liberté, les masses exploitées doivent l'imposer elles-mêmes10/02/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/02/une-2219.gif.445x577_q85_box-0%2C14%2C164%2C226_crop_detail.png

Editorial

Égypte : Pour avoir le droit au pain et à la liberté, les masses exploitées doivent l'imposer elles-mêmes

Pendant que les manifestations continuent en Égypte, les milieux dirigeants de ce pays et l'armée, en collaboration avec les États-Unis, viennent de donner un avant-goût de ce qu'ils appellent la « transition démocratique ». Des tractations ont été publiquement engagées entre le pouvoir représenté par le vice-président, chef des services de renseignement et bras droit de Moubarak, et l'opposition, dont les Frères musulmans, une organisation réactionnaire qui utilise la religion.

Le dictateur Moubarak, dont les manifestants réclament le départ, occupe toujours le palais présidentiel, même s'il a été mis sur la touche sous la pression des États-Unis. Oh, non pas par souci démocratique : faut-il rappeler que, si Moubarak a pu régner en dictateur pendant trente ans, c'est avec le soutien de toutes les grandes puissances ? Mais les dictateurs ne servent aux possédants de l'intérieur et de l'extérieur que tant qu'ils parviennent à tenir leurs peuples. Le mouvement de contestation qui dure montre que Moubarak n'est plus en situation de jouer son rôle. Les États-Unis ont, du coup, pris leurs distances et s'efforcent de mettre en place une autre équipe, qui soit capable de calmer la colère et de rétablir l'ordre.

Même si la poursuite des manifestations amène les États-Unis à faire partir Moubarak, si le changement se limite à mettre à sa place son bras droit pour préparer de nouvelles élections prévues dans six mois, c'est que son clan reste au gouvernail et saura truquer les élections. Les principaux gagnants des affrontements seront les Frères musulmans qui, après avoir obtenu leur légalisation de fait, seront associés au pouvoir et, donc, au maintien de l'ordre.

Les Etats-Unis, qui dénoncent le fondamentalisme religieux comme leur principal adversaire, se feront alors une raison de collaborer. Il n'y a rien d'étonnant à cela : ils se sont bien souvent appuyés dans le passé sur ces forces réactionnaires quand ils voulaient s'opposer à des forces politiques qui menaçaient certains de leurs intérêts. Dans le cas de l'Égypte par exemple, ils les ont soutenues en sous-main pendant longtemps, pour contrer certains aspects du nationalisme arabe de Nasser.

Alors, si on peut se réjouir que le mouvement de contestation ait fait chuter le dictateur Ben Ali en Tunisie, qu'il fasse chanceler Moubarak et que la contagion se propage à d'autres pays arabes comme la Jordanie ou le Yémen, les travailleurs conscients ont des leçons à tirer de ce qui se passe dans ces pays.

La première leçon est que les peuples représentent une force considérable et que le pire des dictateurs peut être renversé, lorsque la crainte suscitée par la terreur cède la place à la volonté d'agir. Mais une autre leçon, aussi importante, est que, le dictateur tombé, l'impérialisme comme la bourgeoisie locale sont déjà à l'oeuvre pour trouver la solution politique qui leur permette de préserver l'essentiel : l'exploitation et l'oppression.

La transition démocratique, prônée aujourd'hui par l'Occident et par la bourgeoisie nationale, n'a nullement pour objectif de toucher à la grande misère des classes exploitées, au chômage, aux salaires qui atteignent à peine le quart de ceux pratiqués en Turquie où, pourtant, ils sont déjà très bas. Elle n'a pas pour objectif de toucher aux inégalités criantes, à ces riches locaux qui, comme en Tunisie, ont leurs jets privés et peuvent se payer la complicité d'une ministre française. Au contraire. Elle a pour but de jeter par-dessus bord quelques dirigeants pour que rien ne change, ni pour les exploiteurs, ni pour les classes exploitées.

Oui, l'Égypte est loin, mais la leçon vaut aussi pour nous, en France, où la démocratie parlementaire consiste à nous permettre d'élire à la présidentielle celle ou celui qui défendra pour les cinq ans à venir les banquiers, le grand patronat, la bourgeoisie, contre les classes exploitées.

C'est l'armée, principal pilier de la dictature depuis cinquante ans, peinturlurée à la faveur des événements en « défenseur de la démocratie », qui est chargée de contrôler la « transition démocratique ». Même la police, pourtant haïe, restera la même que sous la dictature, aucun dirigeant politique n'en réclame la dissolution. C'est dire que ladite « transition » n'apportera aux classes exploitées ni le pain, ni même les libertés démocratiques. Les exploités n'obtiendront l'un et l'autre que lorsqu'ils les imposeront eux-mêmes en se donnant les moyens pour cela : une politique représentant leurs intérêts de classe et les organisations déterminées à la faire prévaloir.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 7 février

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