Quatre semaines d'un mouvement qui a eu raison du dictateur19/01/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/01/une-2216.gif.445x577_q85_box-0%2C8%2C173%2C232_crop_detail.png

Tunisie

Quatre semaines d'un mouvement qui a eu raison du dictateur

Il y a deux ans déjà, la population pauvre de la région de Gafsa avait manifesté contre une situation insupportable, à la suite de quoi des manifestants croupissaient toujours dans les geôles de la dictature. Mais le 17 décembre dernier, ce sont des centaines de jeunes et moins jeunes, chômeurs, mères de famille, qui ont laissé exploser leur indignation à Sidi Bouzid, ville de 40 000 habitants.

Un jeune marchand ambulant de la ville venait de tenter de se suicider par le feu, après que les autorités locales lui avaient confisqué sa marchandise, acquise à crédit. Des rassemblements de proches du jeune homme, Mohamed Bouazizi, comme lui commerçants ambulants faute d'emplois, et des manifestations de colère se sont succédé trois jours durant, la police les réprimant violemment, procédant à des arrestations et emprisonnements.

Le suicide d'un autre jeune, le 22 décembre, escaladant un poteau électrique à haute tension en criant « Plus de misère, plus de chômage ! », apparut comme le témoignage d'une détresse profonde, tandis que les manifestations se multipliaient dans des villes voisines, Meknassi, Bouzaïane, où un bâtiment officiel et un poste de police étaient incendiés. D'autres villes s'embrasaient. Le 24 décembre, un manifestant était tué par balles, d'autres blessés : la police tirait sur la foule.

Le 27 décembre, des centaines de personnes se rassemblaient dans la capitale devant le siège du syndicat UGTT, à l'appel de militants, pour exiger le droit à travailler, la libération des emprisonnés de Sidi Bouzid, dénoncer la corruption de Ben Ali et de sa clique.

Le lendemain, tandis que des centaines d'avocats manifestaient devant le siège du Premier ministre à Tunis, Ben Ali se faisait photographier au chevet du jeune Mohamed Bouazizi, puis prenait la parole sur la chaîne TV7, menaçant les manifestants de sanctions sévères et accusant l'opposition - interdite - « d'instrumentaliser un malheureux incident ».

Les jours suivants, en dépit d'une tentative du pouvoir de lâcher du lest avec le limogeage du ministre de l'Information - triste antiphrase - et de plusieurs gouverneurs de régions, dont celui de Sidi Bouzid, les manifestations se poursuivaient et s'étendaient. À Thala, le 3 janvier, plusieurs centaines d'étudiants et de lycéens, manifestant contre le chômage, la hausse du coût de la vie, la répression et la corruption du régime, s'en prenaient au siège du RCD, le parti de Ben Ali, avant d'être dispersés à coups de matraques et de tirs à balles réelles.

Après deux autres suicides, les cortèges funèbres laissèrent éclater la colère, de plus en plus impossible à contenir, des manifestants : la répression, meurtrière, eut bientôt fait plus de cinquante victimes dans le triangle Thala-Kasserine-Negueb, au centre-ouest du pays, la police en uniforme ou en civil matraquant et tirant dans la foule, pendant que des tireurs isolés au service du régime visaient pour tuer.

Le 10 janvier, Ben Ali parlait de nouveau à la télévision, pour fustiger « les voyous cagoulés, les terroristes » qui manifestaient « à la solde de l'étranger », décrétant la fermeture des universités et lycées. Mais par ailleurs il tentait de stopper l'extension des manifestations en annonçant la création de 300 000 emplois dans les deux années à venir.

Face à ce pouvoir de plus en plus désemparé, la mobilisation populaire continuait de s'amplifier dans des dizaines de villes, formulant de plus en plus nettement, au-delà des mots d'ordre de « liberté, travail, dignité », la colère contre la corruption et le régime de dictature se traduisant par « Ben Ali, dégage ! » Le 13 janvier, celui-ci concédait dans un nouveau discours télévisé qu'il ne se représenterait pas en 2014, date prévue d'une nouvelle élection présidentielle. Il appelait hypocritement sa police à ne plus tirer sur les manifestants, promettait la liberté pour la presse et l'Internet, la baisse des prix de certains produits de base... et peut-être même sa chemise, si d'aucuns en avaient voulu. Mais le lendemain 14 janvier, tandis que l'armée était déployée à Tunis, une manifestation immense, calme, déjà victorieuse, déferlait au centre de la capitale. En fin d'après-midi, dans un dernier discours, préenregistré a-t-on dit, Ben Ali décrétait l'état d'urgence, tout en annonçant le limogeage de son gouvernement et des élections législatives anticipées.

Dans la soirée du 14 janvier, la population triomphait en apprenant que le dictateur était en fuite, rejoignant son épouse et ses proches en Arabie saoudite. Pour elle, le combat n'était pas terminé pour autant.

Partager