Il y a 90 ans - Italie 15 - 21 janvier 1921 : Le Congrès de Livourne et la formation du Parti Communiste d'Italie12/01/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/01/une-2215.gif.445x577_q85_box-0%2C10%2C169%2C230_crop_detail.png

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Il y a 90 ans - Italie 15 - 21 janvier 1921 : Le Congrès de Livourne et la formation du Parti Communiste d'Italie

En Italie comme en France, la victoire de la révolution prolétarienne, la création du premier État ouvrier en Russie en 1917 avaient soulevé l'enthousiasme de la classe ouvrière. La majorité du vieux Parti Socialiste Italien avait décidé d'adhérer à l'Internationale Communiste créée à l'initiative du Parti Bolchevik de Russie. Il s'agissait pour tous les partis adhérents de l'Internationale de se transformer en véritables partis communistes, décidés à aller eux aussi vers la révolution. Le Congrès de Livourne de janvier 1921, comme celui de Tours en France trois semaines plus tôt, devait répondre à cette nécessité en acceptant les 21 conditions posées par l'Internationale, dont l'une était de se séparer de ses éléments réformistes.

SE SEPARER DES REFORMISTES

En France, c'est à la majorité que le Parti Socialiste avait accepté les 21 conditions de l'Internationale pour se transformer en Parti Communiste. La minorité, réformiste avouée, se maintenait sous le nom de Parti Socialiste tandis qu'un certain nombre de dirigeants choisissaient de rester avec les communistes par opportunisme bien plus que par conviction. Mais en Italie la situation se présentait différemment.

Tout d'abord le Parti Socialiste Italien comportait lui aussi une minorité réformiste, autour de Filippo Turati, et aussi une forte minorité communiste autour d'Amadeo Bordiga et d'Antonio Gramsci. Mais la tendance centrale du parti, autour de Giacinto Menotti Serrati, refusait de se séparer de Turati et des réformistes. La tendance de Serrati ne s'en proclamait pas moins favorable à l'Internationale Communiste. Elle était qualifiée de « maximaliste », ce qui dans le langage politique de la social-démocratie d'alors signifiait être partisan de l'application de son programme « maximum », celui de la révolution, par opposition à son programme « minimum » de réformes sociales progressives. Et en effet Serrati et ceux qui l'entouraient n'étaient pas avares de déclarations révolutionnaires. En revanche, ces « maximalistes » s'étaient montrés bien incapables de transformer ces déclarations en action.

LES « DEUX ANNEES ROUGES »

Car à la différence de la France, l'Italie avait traversé à la sortie de la Première Guerre mondiale une véritable période révolutionnaire. Le « Biennio rosso », autrement dit « les Deux Années rouges » de 1919 et 1920, avait vu se succéder une série de mouvements quasi insurrectionnels : émeutes contre la vie chère à l'été 1919, mouvements d'occupation des terres par les paysans dans toute la péninsule en 1919 et 1920, grèves d'ouvriers agricoles organisés dans les « Ligues rouges », mutineries de fractions de l'armée, et surtout des vagues de grèves ouvrières qui avaient culminé en septembre 1920. Les travailleurs avaient alors occupé les usines, les remettant en marche et organisant la production sous leur propre contrôle, mettant en place des milices de gardes rouges pour les défendre contre d'éventuelles attaques de la police ou de l'armée. Mais malgré toute l'énergie déployée par les masses, la révolution n'avait pas eu lieu.

Le Parti Socialiste « maximaliste » avait accompagné le mouvement des « années rouges » de ses discours révolutionnaires. Il avait aussi remporté des succès électoraux considérables. Mais à aucun moment il n'avait vraiment cherché à organiser le mouvement des masses populaires, à le coordonner et à lui donner une direction, à conduire le prolétariat à s'emparer du pouvoir comme l'avaient fait ses frères de Russie. Quant à la tendance communiste déjà présente au sein du Parti autour de Bordiga et Gramsci, qui avait été clairvoyante sur ses insuffisances, elle était trop faible et inexpérimentée pour avoir pu imposer une orientation révolutionnaire.

Amadeo Bordiga, ingénieur napolitain, se distinguait par son discours intransigeant et une défense pointilleuse du marxisme, ou plutôt de la conception qu'il s'en faisait. En réaction à l'électoralisme de la majorité du Parti Socialiste, cela l'avait conduit à constituer une fraction « abstentionniste ». Regroupée autour de la revue Il Soviet, ayant gagné une certaine influence au sein de la jeunesse socialiste, elle prônait la non-participation aux élections, celles-ci faisant partie par nature du système de pouvoir bourgeois.

Antonio Gramsci, intellectuel de Turin, regroupait autour de la revue L'Ordine Nuovo (L'Ordre Nouveau) un certain nombre de militants révolutionnaires comme lui. Le groupe de L'Ordine Nuovo avait su se lier aux travailleurs les plus conscients, impulsant dans les usines la création de « conseils ouvriers » à l'exemple des soviets russes. Cependant, ce mouvement n'avait pas réussi à dépasser la région turinoise. Et surtout, si au cours de la crise de septembre 1920 les conseils ouvriers avaient su organiser l'occupation des usines, ils n'avaient pas su se transformer en véritables centres d'un pouvoir ouvrier.

LES MAXIMALISTES CONTRE LA SCISSION

C'est dans ces conditions que s'ouvrit à Livourne le 17° congrès du Parti Socialiste, avec l'expérience toute fraîche d'un mouvement révolutionnaire qui n'avait pas abouti. La scission des communistes était désormais inévitable. Cependant, durant toute la préparation du congrès, une question importante continuait à se poser : de quel côté pencherait le centre maximaliste? Malgré toutes les tentatives de l'Internationale communiste pour convaincre Serrati de se ranger de son côté et de rompre avec les réformistes de Turati, il allait se refuser à le faire.

Le congrès, ouvert le 15 janvier 1921 au théâtre Goldoni de Livourne, fut houleux. À la question de savoir s'il fallait ou non exclure le courant réformiste, la motion maximaliste répondit par un appel à l'unité du parti, donc avec les réformistes. Les maximalistes étaient soutenus par les voix de délégués représentant 98 028 membres du parti, contre 58 783 pour les communistes et 14 695 pour les réformistes. Serrati préféra donc rester unitaire avec 15 000 réformistes plutôt qu'avec près de 60 000 communistes, comme allait le lui reprocher Lénine. Il ne devait rejoindre les communistes que plus tard, en 1924, et à Livourne la motion d'exclusion fut donc repoussée grâce à lui.

Bordiga prenant acte de la scission, les communistes se rendirent dans un autre théâtre de la ville, le théâtre San Marco, pour y proclamer le Parti Communiste d'Italie, section de l'Internationale Communiste.

FACE A LA MONTEE DU FASCISME

Le parti naissant emmenait avec lui très peu de cadres socialistes, mais beaucoup de jeunes et surtout des ouvriers. Quant à la direction communiste, elle était jeune elle aussi, y compris physiquement : lors du Congrès de Livourne, Gramsci avait à peine trente ans, Bordiga trente-deux. C'est pourtant ce jeune parti qui allait devoir affronter un tout nouveau phénomène : la montée de la réaction fasciste.

En effet, la bourgeoisie italienne avait eu trop peur de la révolution au cours des années 1919-1920, elle désirait désormais conjurer tout danger en écrasant le mouvement ouvrier. Ce rôle allait être dévolu aux bandes fascistes de Mussolini. Après la prise du pouvoir par celui-ci en octobre 1922, les organisations ouvrières allaient devoir progressivement rentrer dans la clandestinité, et cela jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, le Parti Communiste qui allait resurgir en 1944 ne serait plus le parti révolutionnaire fondé par Bordiga et Gramsci, mais bien un parti stalinien, même si son dirigeant Togliatti avait été militant de L'Ordine Nuovo. La direction de ce parti allait rendre de grands services à la bourgeoisie italienne avant de le transformer ouvertement, à partir de 1991, en un parti bourgeois. Une évolution qui rend indispensable de reprendre le drapeau du communisme, levé à Livourne en 1921 par Bordiga et Gramsci.

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