Espagne : Manoeuvres gouvernementales dans un ciel peu serein08/12/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/12/une-2210.gif.445x577_q85_box-0%2C14%2C164%2C226_crop_detail.png

Dans le monde

Espagne : Manoeuvres gouvernementales dans un ciel peu serein

Vendredi 3 décembre après-midi, l'espace aérien était fermé sur l'ensemble de l'Espagne suite à un arrêt de travail de la quasi-totalité des contrôleurs aériens. Fait sans précédent depuis la mort de Franco, le gouvernement du socialiste Zapatero a décidé immédiatement de confier la gestion du trafic aérien à l'armée, décrétant l'état d'alarme, ce qui permet la réquisition des contrôleurs qui, s'ils ne s'exécutent pas, sont déclarés coupables de sédition, délit passible de prison.

Dans tous les médias, ce fut un déchaînement d'attaques voire d'insultes contre les contrôleurs aériens, propos qui faisaient écho aux déclarations gouvernementales : les contrôleurs étaient présentés comme des privilégiés défendant leurs privilèges. Il est certain que les salaires des contrôleurs aériens sont élevés, en Espagne comme ailleurs, et sont de l'ordre de 250 000 euros annuels. Mais, précisément, leur protestation ne concernait pas les salaires mais l'allongement de l'horaire de travail, lié à la politique de privatisation d'AENA, qui est l'organisme de gestion des principaux aéroports espagnols.

Ce mouvement des contrôleurs aériens s'est déclenché une semaine après l'approbation, au Conseil des ministres, de la privatisation partielle d'AENA, et de la privatisation totale des aéroports de Barcelone et Madrid. Mais il a éclaté aussi quelques heures seulement après l'adoption d'un décret qui modifie à la hausse les heures de travail des contrôleurs aériens, dont le nombre n'a guère augmenté alors que le trafic a augmenté de moitié depuis dix ans. C'est cette dernière mesure qui a provoqué leur colère.

En novembre déjà, à Saint-Jacques-de-Compostelle par exemple, des contrôleurs avaient refusé d'aller au-delà des 1 670 heures annuelles légales et ont même porté l'affaire devant les tribunaux. Mais vendredi 5 novembre le nouveau décret concernant les horaires tranchait donc largement en faveur d'AENA, puisqu'il obligeait les contrôleurs à aller au-delà de ces 1 670 heures annuelles légales. Certains refusèrent de travailler une heure de plus et les plus nombreux, invoquant le stress grandissant dénoncé depuis des mois, se mirent en maladie pour éviter les risques de sanctions immédiates qu'entraînait un arrêt de travail déclenché sans préavis et sans respect des réglementations concernant le service minimum.

La réponse du gouvernement a été immédiate. Le conflit a duré seize heures. L'armée a été omniprésente dans les aéroports et les contrôleurs ont été sommés d'obéir. 442 d'entre eux sont sous le coup de procédures disciplinaires. Ce n'est sans doute pas un hasard si le gouvernement a choisi de promulguer le décret visant exclusivement les contrôleurs le vendredi même d'un très long pont, durant jusqu'au jeudi 9 décembre. Il espérait peut-être que les contrôleurs du ciel dans l'immédiat n'oseraient pas enfreindre les réglementations du préavis. Mais il savait bien que sa réforme est rejetée par le personnel de l'aviation. En effet, pour la fin du mois, étaient déjà annoncées des grèves de tous les personnels des aéroports, contrôleurs mais aussi pilotes, contre la privatisation et ses conséquences.

Dans ce conflit, le gouvernement s'est montré prêt à aller jusqu'à la militarisation des aéroports et au service obligatoire sous peine de réquisition. Mais le message vaut aussi pour tous les travailleurs qui décideraient la grève sans préavis ou contesteraient le service minimum. En juin dernier, les travailleurs du métro de Madrid s'étaient mis en grève pour refuser la baisse de 5 % des salaires décrétée pour tous les fonctionnaires. Le gouvernement avait imposé alors un service « minimum » à sa convenance, qui enlevait tout effet à la grève.

Aujourd'hui, au travers de diverses privatisations, le gouvernement compte récupérer des milliards d'euros, afin de réduire ses besoins de financements en 2011. Pour payer la dette, c'est-à-dire donner de l'argent aux banquiers, Zapatero n'a aucun état d'âme ni vis-à-vis des contrôleurs (qui ne sont pas les plus mal lotis), ni pour aucune catégorie de travailleurs, même les plus appauvris par la crise. Ainsi les chômeurs en fin de droits ne toucheront plus l'allocation de 426 euros qu'ils touchaient jusqu'à présent. Car c'est bien sur leur dos à tous que Zapatero entend récupérer des milliards qui n'assainiront même pas les finances du pays, mais permettront aux capitalistes d'engranger encore plus de profits.

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