Pétain et la situation faite aux Juifs : Le maréchal était un antisémite militant06/10/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/10/une2201.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Pétain et la situation faite aux Juifs : Le maréchal était un antisémite militant

Dimanche 3 octobre, l'avocat Serge Klarsfeld a fait savoir que le Mémorial de la Shoah, situé dans le quartier du Marais à Paris, avait reçu d'un donateur anonyme un exemplaire du projet de loi d'exclusion des Juifs, datant de 1940, annoté par le maréchal Pétain. Selon les historiens qui commentent cette découverte, les annotations seraient bien de la main du maréchal. Elles indiquent qu'en 1940 le chef de l'État français, loin d'être un « bouclier » contre les occupants nazis, avait aggravé, de son propre chef, un projet de loi déjà largement hostile aux Juifs. De quoi remettre en cause le mythe bien commode d'un maréchal « gaga ».

Que le maréchal Pétain était antisémite n'est une découverte que pour ceux qui ignorent que la grande majorité des dirigeants de la droite française d'alors l'étaient peu ou prou, ayant généralement tété, dans leur jeunesse, les idées du royaliste Maurras, antisémite affirmé. Une idéologie réactionnaire qui gangrenait aussi certains dirigeants de la résistance gaulliste.

Publié le 18 octobre 1940, le « statut des Juifs » adopté par le gouvernement de Vichy a été le premier acte d'une politique qui a mis la police française au service des nazis pour leur faciliter la chasse aux Juifs et la déportation de 75 000 Juifs vers les camps de la mort.

Tout cela est bien connu. Le nouveau document montre cependant que Pétain n'avait pas besoin d'un Laval pour aggraver un statut en lui-même déjà honteux. La première version du projet proposait, par exemple, d'épargner « les descendants de Juifs nés Français ou naturalisés avant 1860 ». Cette phrase fut rayée par Pétain. Dans l'enseignement, le projet proposait d'interdire aux Juifs l'exercice des professions de recteurs, inspecteurs, proviseurs et directeurs d'établissement, Pétain étendit cette proposition à tout le corps enseignant. Il empira de la même manière la liste des tribunaux et des juridictions interdits aux Juifs.

Du même coup, ce document indique que, contrairement à une légende bâtie par ses défenseurs, Pétain n'a pas été un « bouclier » ou un « rempart » contre les exigences des forces occupantes. Il n'a pas cherché à sauver ce qui pouvait l'être, comme l'ont dit certains. Bien au contraire. Il y a près de quarante ans, dans un livre paru en 1973, l'historien américain Robert O. Paxton avait fait scandale en démontrant que le régime de Vichy avait précédé les exigences des nazis dans leur chasse aux Juifs. Paxton avait bien sûr raison. Le document retrouvé en est une confirmation supplémentaire.

Et s'il a fallu attendre 1995 pour qu'un président de la République, Chirac, admette et dénonce le zèle des dirigeants de l'État français dans la répression antijuive, c'est que, depuis 1945, les dirigeants politiques français avaient en général préféré feindre que la période 1940-1944 avait été une noire parenthèse dans l'histoire du pays. C'était oublier que Pétain avait obtenu les pleins pouvoirs d'une Chambre issue du Front Populaire et qu'après la guerre nombre d'anciens vichystes avaient été recyclés dans les institutions de la IVe République, dont le célèbre Maurice Papon. Il s'est même trouvé une poignée de policiers pour participer à la fois à la rafle du Vel' d'hiv' en 1942 et à la répression contre les travailleurs algériens en octobre 1961 à Paris, pendant la guerre d'Algérie.

Des continuités que les dirigeants n'aiment guère qu'on leur rappelle quand ils jouent avec la démagogie anti-immigrés. On en a eu quelques illustrations, ces temps-ci, avec le gouvernement Sarkozy-Hortefeux-Besson qui n'aime pas, par exemple, qu'on rappelle que, sous le nazisme, les Roms n'ont pas été mieux traités que les Juifs... ou les communistes.

La médiatisation de ce document servira peut-être à faire disparaître dans une partie de l'opinion publique des illusions sur Pétain, qui fut bien le dirigeant réactionnaire qu'il était et jamais un bouclier contre les nazis, ni un petit vieux sénile manipulé par un entourage abject. Près de soixante ans après sa mort, ce n'est pas trop tôt.

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