Italie : Le 2 août 1980 à la gare de Bologne, 85 victimes de la stratégie de la tension04/08/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/08/une2192.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Italie : Le 2 août 1980 à la gare de Bologne, 85 victimes de la stratégie de la tension

Il n'y avait pas de représentant du gouvernement italien le 2 août à Bologne pour les cérémonies anniversaire de l'attentat qui, il y a trente ans, a coûté la vie à 85 personnes et fait 200 blessés. Pour justifier son abstention, le gouvernement invoque le fait que, à chaque commémoration précédente, son représentant a été contesté et sifflé. Mais la raison en est que, trente ans après, la lumière n'est toujours pas faite sur cet attentat et que les autorités italiennes préfèrent toujours éviter de la faire.

Il était 10 heures 25 du matin, le samedi 2 août 1980, lorsqu'une effroyable explosion dévasta toute la gare de Bologne, noeud ferroviaire toujours très fréquenté et qui l'était encore plus en ce jour de grands départs pour les vacances. L'explosion se produisit dans la salle d'attente, dévasta une partie de la gare, des quais, des trains en stationnement. Des corps atrocement mutilés gisaient sous les décombres, jusque sous les wagons. Il fallut des heures et des heures pour les en sortir, les identifier, en faire le décompte, et pour conclure que ces 85 morts faisaient de cet attentat le plus meurtrier de toute l'histoire de l'Italie.

Dès le début une fausse piste fut évoquée en haut lieu, comme l'explosion de la chaudière de la gare, qui se trouvait pourtant toujours là et en parfait état, avant que l'évidence ne s'impose : l'attentat n'était qu'un épisode de plus de la « stratégie de la tension » mise en oeuvre par des groupes d'extrême droite aidés par les services secrets. Celle-ci visait à créer un climat de terreur et ainsi à favoriser une évolution autoritaire permettant de s'opposer aux progrès de la gauche et du Parti Communiste. Cette stratégie avait déjà été illustrée par les attentats de la Banque de l'Agriculture à Milan, en décembre 1969 (17 morts), de la Questure de Milan en 1973 (4 morts), de Piazza della Loggia à Bologne en mai 1974 (8 morts), du train Italicus en août 1974 (12 morts), et par d'autres aux moindres conséquences. Enfin, quelques jours avant le 2 août 1980, diverses informations sur la préparation d'un nouvel attentat meurtrier à l'initiative de groupes d'extrême droite étaient parvenues.

Dès la fin août 1980, le procureur de Bologne allait donc lancer des mandats d'arrêt contre des militants des NAR (Noyaux Armés Révolutionnaires), une organisation appartenant aux filières du terrorisme « noir », autrement dit fasciste ou d'extrême droite. Mais cela n'allait être que le début d'une incroyable saga judiciaire. Des témoignages contradictoires surgirent, émanant de diverses sources, avec l'intention visible d'aiguiller la justice sur de fausses pistes successives. Ainsi on allait découvrir dans un train une valise contenant un explosif semblable à celui de la gare de Bologne et contenant aussi des objets personnels permettant d'aiguiller les recherches vers deux militants d'extrême droite étrangers, l'un français et l'autre allemand. Le maître de la loge maçonnique P2 Licio Gelli allait invoquer de son côté une « piste internationale », le président de la République Cossiga une « piste palestinienne ». Des campagnes de presse allaient accuser les magistrats et l'association des familles des victimes d'être manipulés par les « communistes » et de chercher pour cette raison à mettre en cause le terrorisme noir.

Cependant, notamment dans le cas de la valise opportunément découverte dans un train, la ficelle était vraiment trop grosse et faisait apparaître la main du carabinier qui l'avait déposée sur ordre des services secrets du Sismi (Service d'information pour la sécurité militaire). Deux de ses responsables allaient être mis en cause et condamnés. Mais pourquoi avaient-ils agi ainsi, et pourquoi voulaient-ils détourner les recherches, si ce n'est parce que la collaboration entre le Sismi et les groupes d'extrême droite était courante et parce que ce service avait sans doute une responsabilité dans l'attentat ?

Au-delà, on allait aussi apprendre l'existence au sein de l'Otan d'une structure clandestine, Gladio (le glaive), collaborant avec les services des divers pays et se tenant prête à y mener la « stratégie de la tension » pour tenter d'empêcher des évolutions politiques non souhaitées. Enfin, l'enquête sur la « loge P2 » allait montrer comment politiciens, hauts fonctionnaires, dirigeants de la police et de l'armée se réunissaient pour comploter ensemble, prêts à fournir une couverture à une opération réactionnaire.

Au total, après un long processus judiciaire, trois personnes seulement allaient être condamnées comme exécutants matériels de l'attentat, dont deux militants d'extrême droite des NAR auteurs de nombreux assassinats et n'hésitant pas à les revendiquer mais qui, dans le cas de celui de Bologne, continuent encore aujourd'hui à nier toute participation. Les demandes réitérées de l'association des familles de victimes d'une levée du secret militaire permettant d'enquêter sur l'intervention du Sismi et des autres services restent encore aujourd'hui sans réponse. L'enquête s'est donc arrêtée à ces trois « exécutants matériels » peu convaincants, sans découvrir les mandants plus hauts placés et les couvertures politiques de l'attentat ; sans non plus pouvoir établir vraiment d'où émanaient les tentatives récurrentes de la diriger sur de fausses pistes.

De toute évidence, il y a de nombreux secrets que l'État italien préfère garder pour lui. Le rôle de ses services et peut-être de ceux de l'OTAN dans la « stratégie de la tension », et notamment dans l'attentat de la gare de Bologne, est de ceux-là.

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