Kirghizistan : Le pire est peut-être à venir01/07/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/07/une2187.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Kirghizistan : Le pire est peut-être à venir

Le 27 juin, deux semaines après les sanglants pogromes qui se sont abattus sur la population ouzbèque d'Och, la seconde ville du Kirghizistan, le gouvernement provisoire issu du coup d'État ayant renversé le dictateur précédent, Bakiev, a organisé un référendum sur une nouvelle Constitution censée « stabiliser le pays » (selon Le Monde) et « créer une démocratie parlementaire » (à en croire Le Parisien).

Dès le 28 juin, le gouvernement provisoire de Roza Otounbaiéva a claironné avoir obtenu près de 90 % des voix dans un scrutin auquel auraient participé 70 % des électeurs. C'en serait comique si ce n'était tragique. Car qui peut croire une telle fable, quand l'ONU et les ONG présentes sur place estiment que près d'un million de personnes, essentiellement d'origine ouzbèque, ont fui les tueries ? Bien sûr, les autorités d'Ouzbekistan se sont montrées rien moins qu'empressées d'accueillir leurs nationaux fuyant le Kirghizistan - de crainte, sans doute, de se trouver entraînées malgré elles dans une escalade conflictuelle avec leurs voisins ex-soviétiques d'Asie centrale, les Ouzbeks, le peuple le plus nombreux, étant présents dans tous les pays de la région, parfois en tant que très importante minorité (au Kirghizistan, les Ouzbeks représentent entre un quart et un tiers de la population). Mais, même repoussés par les autorités d'Ouzbekistan, les réfugiés ouzbeks du Kirghiszistan ne sont pas tous retournés chez eux. D'autant qu'en fait de chez eux, même dans les régions où ils constituent la moitié de la population, leurs maisons ont bien souvent été incendiées et saccagées.

Et ce n'est pas la présence de la police et de l'armée du gouvernement provisoire, qui avait placé le sud du pays sous la loi martiale en dénonçant verbalement les fauteurs de pogromes, qui a vraiment de quoi rassurer ceux qui ont fui les massacres inter-ethniques. D'abord, sous le régime actuel comme sous le précédent, l'armée et la police sont exclusivement composées de ressortissants de l'ethnie majoritaire, les Kirghizes, tandis que les membres des autres ethnies (Ouzbeks, Tadjiks, Tatars, voire Russes), bien qu'ils soient officiellement citoyens du Kirghizistan, n'ont pas le droit d'en faire partie. Ensuite, même des soldats envoyés « pacifier » Och ne se sont pas gênés pour déclarer à des journalistes qu'ils n'attendaient qu'une occasion de « nettoyer » le pays des Ouzbeks. Quant aux Tadjiks du Kirghizistan, autre minorité ayant un État national dans la région, des rumeurs ont fait état d'appels les « invitant » à quitter le pays, car eux aussi seraient visés.

Des témoignages font état du fait qu'à Och et Djelalabad, le 11 juin et les jours suivants, des policiers et des blindés ouvraient la voie aux bandes de tueurs. Certes, il est probable que ces policiers et ces militaires étaient des partisans du dictateur renversé en avril, Bakiev, dont le fief se trouve dans cette région, le sud du pays, mais la gangrène ethnique, attisée depuis des années, n'est pas le propre du précédent régime. La gangrène ethniste est partout présente, à ronger toute la région. Surtout depuis que l'éclatement de l'Union soviétique a fourni aux gouvernants locaux une multitude de boucs émissaires tout trouvés en la personne de populations devenues étrangères chez elles.

En effet ces populations, qui vivent là depuis des siècles, étaient toutes soviétiques. Mais après 1991, avec la disparition de leur pays commun, l'URSS, elles se sont subitement retrouvées en situation de minorité ethnique dans un État se voulant celui de la seule ethnie majoritaire. Et, depuis une vingtaine d'années, désigner les « minoritaires » comme des « étrangers » ou des « privilégiés » est un des jeux favoris des gouvernants. Et pour cela les clans au pouvoir hésitent d'autant moins à s'appuyer sur des gangs mafieux que ces mêmes gangs contrôlent le très juteux trafic de la drogue, dont l'une des principales voies d'acheminement d'Afghanistan vers l'Europe passe précisément par le sud du Kirghizistan, autrement dit par le fief des frères Bakiev.

Ainsi, en mai de l'an dernier, des émeutes anti-Ouzbeks avaient déjà été organisées à Och par le clan Bakiev, sans que la « communauté internationale » y trouve à redire, ni même en fasse état dans ses médias. Quant à mettre en cause un régime ethniste, clanique, mafieux et s'appuyant sur l'intégrisme musulman avec, par exemple, la réapparition des mariages forcés de fillettes, il n'en était pas question pour les grandes puissances.

Il est vrai que le clan Bakiev au pouvoir avait concédé une importante base militaire aux États-Unis, lesquels fermaient les yeux - et continuent de le faire - sur tout ce qui peut se passer au Kirghizistan, pourvu que leur base, indispensable au ravitaillement des troupes américaines en Afghanistan, fonctionne sans anicroche. Et comme, pour faire bonne mesure, le clan Bakiev avait octroyé une autre base à la principale puissance régionale, la Russie, celle-ci évitait de trop se mêler des affaires du pays. D'ailleurs, même si le Kremlin a visiblement apprécié le renversement de Kourmanbek Bakiev, parce qu'il s'était trop rapproché des États-Unis, il s'est gardé de répondre présent quand les nouvelles autorités kirghizes lui ont demandé de l'aide militaire, de crainte sans doute de se voir entraîné dans un bourbier militaire sans issue. Quant à l'Union européenne, présente dans la région via notamment un ambassadeur de l'OSCE (cette Organisation pour la sécurité et la coopération économique que l'on trouve partout ou presque en ex-URSS) qui « couvre » toute l'Asie centrale ex-soviétique, on ne l'a pas plus entendue cette fois-ci que durant la période précédente.

Alors, même si les grandes puissances aimeraient bien que le nouveau gouvernement kirghiz arrive à stabiliser le pays, et sont prêtes par avance à le couvrir de brevets de démocratie, la situation dans laquelle la disparition de l'Union soviétique a enfoncé toute la région, et les nombreux peuples, minoritaires ou pas, qui y vivent, laisse craindre le pire.

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