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- Lutte ouvrière n°2184
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Dans le monde
Chine : Grèves ouvrières pour les salaires et pour les droits
Les autorités chinoises viennent de décider de relever le salaire minimum de 20 % (à 117 euros) à Pékin, la capitale politique du pays, soit deux fois plus que prévu, et à l'équivalent de 137 euros à Shangaï, la capitale économique.
Évidemment, on ne peut qu'être frappé par le fait que cette annonce, rapportée par le journal chinois de langue anglaise, Global Times, réputé proche du pouvoir, survient au moment même où l'on apprend que des travailleurs de grandes usines, notamment du sud de la Chine, viennent d'obtenir de fortes hausses de salaire, suite à des grèves victorieuses.
Il est certes difficile de mesurer ce qui se passe dans ce pays immense, le plus peuplé de la planète, où les moyens d'information sont étroitement contrôlés par le pouvoir. Et plus encore quand il s'agit de la très nombreuse classe ouvrière chinoise.
Ce début du mois de juin a vu des grèves victorieuses à l'usine Honda de Foshan, dans la région de Canton (35 % de plus obtenus sur le salaire de base), puis à l'usine du groupe coréen Hyundai près de Pékin, où la direction a cédé de fortes hausses de salaire en quelques jours, ou encore chez un fournisseur de Honda à Zhonshan, où les grévistes ont obtenu près de 10 % d'augmentation. Malgré le peu d'informations qui filtrent, il semble que le nombre des grèves, leur ampleur, augmentent depuis quelques années.
Et ce ne sont pas les raisons qui manquent à cela, comme en témoigne la situation qu'a révélée la vague de suicides survenue en quelques mois aux usines Foxconn, du géant de l'électronique taïwanais Hon Hai, qui fait produire à la chaîne l'iPhone d'Apple, les portables Nokia, les consoles de jeu Sony, les ordinateurs Dell ou Hewlett-Packard par les 300 000 ouvriers de son usine de Senzhen.
La taille de Hon Hai, qui emploie 800 000 travailleurs dans tout le pays, la notoriété mondiale de ses clients, ont donné une résonnance particulière au mouvement de protestation de ses travailleurs, des « mingong ». Ces « paysans devenus ouvriers » (en chinois), soumis à un régime de caserne, travaillant six jours sur sept, dix à douze heures quotidiennes, dans des conditions épouvantables, logés dans des dortoirs, n'ont aucune possibilité de mener une vie de famille, et cela pour des salaires misérables.
Quand les commentateurs s'extasient sur les rythmes de croissance de l'économie chinoise depuis plus de deux décennies, alors que le reste du monde se traîne de crise en crise, bien peu rappellent de quel prix les travailleurs des villes et des campagnes ont payé ce « miracle ». Selon les statistiques officielles chinoises, qu'on ne peut soupçonner de noircir le tableau, la part du revenu national qui revient aux travailleurs est tombée de 53,4 % à 39,7 % ces vingt dernières années, tandis que la part revenant aux entreprises, et à leurs propriétaires, a bondi de 21,2 % à 31,3 %.
Lesdits propriétaires, souvent des fils, neveux ou cousins de hauts dignitaires de l'armée, du parti ou de l'État, ont, grâce à de tels appuis, privatisé à leur profit près de la moitié des anciennes entreprises publiques. Et ils disposent bien sûr du complet appui du régime pour tenter de juguler cette classe ouvrière que la transformation de la Chine en « atelier du monde » a accrue à grande vitesse et à une échelle immense : on estime à plus de 200 millions le nombre des « mingong », lesquels représenteraient 80 % de la classe ouvrière chinoise.
Ces travailleurs n'ont qu'une autorisation temporaire de résider dans la ville de leur usine, sans avoir le droit de s'y installer définitivement. La répression policière sévit contre toute tentative d'organisation indépendante, et en particulier sont interdits tous les syndicats autres que le « syndicat » officiel ACFTU, auxiliaire zélé du patronat. On l'a vu lors de la grève chez Honda, où ses gros bras ont roué de coups des grévistes... « Il ne faut pas craindre d'être un dictateur quand c'est pour le bien de tous », énonce sans fard un manuel destiné aux contremaîtres de Foxconn.
Mais en ayant arraché aux campagnes des centaines de millions de travailleurs, l'exploitation capitaliste a, comme au 19e siècle en Europe et en Amérique, fait surgir un prolétariat très nombreux, concentré dans de grands centres urbains. Vingt ans après le début du prétendu miracle chinois, on ne peut que formuler un souhait : que cette classe ouvrière prenne conscience de sa force. C'est à juste titre que les jeunes grévistes de Honda déclaraient : « Nous ne nous battons pas seulement pour les droits des 1 800 ouvriers (de Honda), mais pour ceux des travailleurs de toute la Chine ! »