- Accueil
- Lutte ouvrière n°2178
- Belgique : Concurrence communautaire et attaques antiouvrières
Dans le monde
Belgique : Concurrence communautaire et attaques antiouvrières
Après quelques mois dominés par les conséquences de la crise économique, les dossiers communautaires sont revenus sur le devant de la scène en Belgique. Le VLD, Parti libéral flamand, a quitté la table de négociations du dossier BHV (l'arrondissement Bruxelles-Halle-Vilvorde) et démissionné du gouvernement fédéral. Le Premier ministre Yves Leterme a présenté la démission du gouvernement fédéral au roi, qui l'a acceptée.
La Belgique se retrouve donc une nouvelle fois sans gouvernement fédéral, et des élections anticipées vont devoir être organisées en juin. Comme les gouvernements régionaux - flamand, wallon et bruxellois - sont devenus prépondérants par rapport au gouvernement fédéral au fur et à mesure des réformes, la plus grande partie des institutions du pays continuera de fonctionner. Mais alors que la Belgique doit prendre la présidence européenne le 1er juillet, c'est elle qui se retrouve sans gouvernement !
Le symbole BHV
L'arrondissement juridique et électoral Bruxelles-Halle-Vilvorde regroupe les 19 communes composant Bruxelles et 35 communes flamandes encerclant Bruxelles. Depuis la création de la « frontière linguistique » en 1963, ces communes ont un statut bilingue. Contrairement à tous les autres habitants du pays, ceux de ces communes peuvent choisir le néerlandais ou le français pour leurs démarches administratives, l'enseignement, les rapports avec la justice, et peuvent voter pour des listes électorales flamandes ou francophones bruxelloises. En dehors de Bruxelles, il y aurait 150 000 francophones vivant dans ces communes flamandes, et dans quelques-unes ils seraient même majoritaires.
La scission de BHV, avec Bruxelles d'un côté et une région flamande à part entière de l'autre, est devenue une exigence des partis nationalistes flamands, sur laquelle tous les autres se sont alignés. Surtout qu'en face, les politiciens francophones utilisent toutes les ficelles juridiques et administratives possibles pour faire traîner les choses en longueur et éviter de faire des concessions aux partis flamands.
D'autant plus que le développement de Bruxelles attire de nombreux employés qui s'établissent dans les communes environnantes, réduisant d'autant la proportion d'habitants de ces communes parlant naturellement néerlandais.
Cette situation inextricable est le résultat des choix réactionnaires de la bourgeoisie, des notables et des politiciens francophones, depuis la naissance de la Belgique en 1830 jusqu'à ces dernières décennies. Après avoir imposé le français comme seule langue nationale à une population pourtant majoritairement flamande, après avoir refusé le bilinguisme, et partagé le pays en fonction de la langue quand le mouvement nationaliste flamand est devenu irrépressible, après avoir scindé économiquement le pays dans les années 1960 pour défendre les patrons wallons, après avoir scindé les partis politiques dans les années 1970, les politiciens francophones sont mal venus de se poser aujourd'hui, eux et leurs supporters francophones des communes de la périphérie de Bruxelles, en victimes du nationalisme flamand !
Le prétexte communautaire
Les problèmes communautaires ont permis depuis quarante ans aux politiciens, du nord comme du sud du pays, de mener une longue suite d'attaques contre les classes laborieuses, en rejetant systématiquement la responsabilité sur l'autre communauté. Tous les partis politiques en ont fait leur cheval de bataille et, du coup, ce thème domine la vie politique en Belgique, contribuant au développement des partis nationalistes.
Des crises communautaires et des réformes des institutions, la Belgique en a connu beaucoup. Mais en pleine crise économique, cette crispation communautaire prend de tout autres dimensions.
La FEB (la Fédération des entreprises de Belgique, l'équivalent du Medef) a ainsi lancé un appel à arrêter de « jouer avec le feu », invitant les politiciens à trouver rapidement une solution négociée, à « sortir de leur logique propre » et à « prendre en compte les préoccupations économiques et sociales des entrepreneurs et des citoyens qui craignent une atteinte grave à leur bien-être ».
La FEB ne veut pas se retrouver dans une crise politique comme en 2008, sans personne au gouvernail pour distribuer les milliards de l'État fédéral. Quant aux « atteintes au bien-être » des citoyens, et en particulier des travailleurs, ils en sont les principaux responsables ! Malheureusement, cela n'a pas empêché les dirigeants des confédérations syndicales FGTB et CSC de lancer cet appel en commun avec la FEB et d'autres organisations patronales, comme si les travailleurs avaient quoi que ce soit à en attendre.
Le patronat flamand à l'offensive
Les calculs politiciens en vue des prochaines élections de 2011 et les considérations sur sa propre carrière ont certainement tenu une part non négligeable dans la décision d'Alexandre De Croo, le jeune président du VLD, quand il a décidé de quitter le gouvernement, coup d'éclat qui allait le faire tomber.
Mais surtout ce patron de PME de 34 ans bénéficie du soutien du patronat flamand des petites et moyennes entreprises, qui a jugé pouvoir ainsi créer une situation où les politiciens francophones n'auront d'autre choix que de céder à leurs revendications. Pour ce patronat qui exploite des travailleurs dans toutes les langues, la scission de BHV n'est qu'une étape vers la scission de la Sécurité sociale et la régionalisation des impôts, qui relèvent encore du domaine fédéral. La crise rend ce patronat d'autant plus impatient de voir se réaliser cette réforme, qui lui permettrait de diminuer ses cotisations et donc d'augmenter ses profits.
Ainsi l'Unizo, l'association flamande des classes moyennes, et la Voka (liée à la FEB), deux des principales organisations patronales flamandes, ont refusé de signer la déclaration commune de la FEB. Pour la Voka, cette nouvelle crise « prouve une fois de plus la nécessité d'une nouvelle réforme de l'État qui (.) transfère plus de compétences aux régions ». L'Unizo demande « un régime qui reflète la réalité économique. L'organisation pense notamment à la régionalisation du marché du travail et à la nécessité de s'attaquer de façon adéquate aux problèmes qui diffèrent de région en région. »
Une partie des politiciens francophones sont prêts à ces concessions. Ainsi, la ministre PS des Affaires sociales et de la Santé publique, Laurette Onkelinx, a déclaré dans le journal Le Soir : « Quand on aura trouvé une solution pour BHV, il faudra redéfinir un contrat national, les compétences de chacun. » Il est certain que les travailleurs doivent en tout cas se préparer à rendre les coups... et ce dans toutes les langues.