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Espagne : Le juge Garzon sur le banc des accusés La justice couvre les crimes franquistes
Le 7 avril dernier, la plus haute cour de justice espagnole, le Tribunal suprême, a retenu la plainte déposée par des organisations d'extrême droite et inculpé le juge Baltazar Garzon pour délit de prévarication -c'est-à-dire d'abus de pouvoir - qu'il aurait commis en 2008.
À cette époque, en tant que juge de la plus haute cour pénale d'Espagne (dite Audiencia nacional), il s'était déclaré compétent pour enquêter sur les crimes commis pendant la guerre civile (1936-1939) et la dictature franquiste (1939-1975). Ses déclarations, qui brisaient la loi du silence concernant la violence et l'ampleur de la répression menée par les troupes puis le régime franquistes, qui frappa des dizaines de milliers de personnes, avait suscité une levée de boucliers dans les milieux de droite, politiques comme judiciaires. Tous ceux qui depuis des décennies ne voulaient pas que la vérité sur cette période soit connue invoquaient, et invoquent toujours, la violation de la loi d'amnistie d'octobre 1977, selon laquelle nul ne pouvait être poursuivi pour des crimes politiques commis dans le passé pendant cette période longue de quarante ans, à l'exception des actes terroristes. C'est sous la pression du parquet qu'en 2008 le juge Garzon avait fini par renoncer à sa démarche, laissant le soin des enquêtes sur les « disparus du franquisme » aux tribunaux locaux.
Aujourd'hui, cette affaire rebondit parce que le Tribunal suprême envisage de juger voire de condamner Garzon, en s'appuyant sur une des multiples plaintes déposées contre lui par des organisations comme Manos Limpias (Mains Propres), un syndicat judiciaire dont le président est un ex-dirigeant du parti d'extrême droite Fuerza Nueva (Force Nouvelle) et de la Phalange, historiquement impliquée directement dans ces crimes. Voilà qui en dit long sur le camp dans lequel se rangent la haute magistrature et les forces politiques de droite espagnoles.
Le juge Garzon n'est pas un petit juge. C'est un haut fonctionnaire qui centralise à la Cour pénale suprême aussi bien les dossiers de terrorisme, de criminalité organisée que ceux concernant les crimes contre l'humanité. Si ce « super-juge », comme il est souvent désigné, est connu pour ses enquêtes sur les crimes contre l'humanité (il avait obtenu en 1998 l'arrestation de Pinochet, l'ex-dictateur chilien présent à Londres), il l'est aussi pour être un des responsables de la lutte impitoyable contre les séparatistes basques, en particulier ceux de l'ETA. Mais en brisant « le pacte du silence » concernant les crimes du franquisme, il a osé faire ce qu'aucun magistrat espagnol avant lui n'avait osé.
Le bras de fer juridique continue donc entre d'un côté Garzon et les associations de défense des droits de l'homme, et de l'autre ce que les classes dirigeantes espagnoles comptent de plus réactionnaire. Aujourd'hui dans l'opposition, le Parti Populaire (le PP) dirigé par Rajoy se reconnaît dans ces positions les plus réactionnaires. Plus de trente ans après la fin de la dictature, le PP s'appuie sur tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, ont profité du régime. Et il se montre d'autant plus agressif qu'il est empêtré lui-même dans des affaires de corruption impliquant un nombre non négligeable de ses dirigeants. Alors il n'hésite pas à harceler et à porter plainte, en particulier contre le juge Garzon, qui est chargé aussi d'instruire ces scandales.