Les suicides à France Télécom : La direction s'indigne... qu'on puisse la mettre en cause14/04/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/04/une2176.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Les suicides à France Télécom : La direction s'indigne... qu'on puisse la mettre en cause

Pour Stéphane Richard, directeur général de France Télécom depuis le 1er mars, la thèse selon laquelle « les dirigeants et les plus de 10 000 managers qu'il y a dans l'entreprise se seraient en quelque sorte entendus pour former un complot visant à pousser les gens au suicide » est « totalement absurde ». « C'est de l'amalgame un peu calomnieux » de la part de « tous ceux qui propagent cette thèse », a-t-il déclaré le 12 avril sur Europe 1.

La direction de France Télécom s'énerve. Sa responsabilité pénale dans la vague de suicides qui s'y produisent est désormais mise en cause par le parquet de Besançon le 17 mars puis par celui de Paris le 8 avril, sur la base de rapports de l'inspection du travail pour « harcèlement moral et mise en danger de la vie d'autrui ».

Loin d'être une exception, France Télécom est en réalité dans la norme : cette société du CAC40, bénéficiaire de milliards d'euros chaque année, avait mis en place en 2005 un plan de suppression de 22 000 emplois en trois ans. Il est vrai qu'environ les deux tiers des salariés ne pouvaient pas être licenciés, car ils étaient protégés par un statut de fonctionnaire. En dépit de cette situation, la direction est arrivée à ses fins en demandant à l'encadrement - les 10 000 « managers » - qu'il mette la pression et obtienne un maximum de départs « volontaires » par les mobilités forcées et une augmentation du stress. « Je ferai les départs d'une façon ou d'une autre », avait déclaré le précédent PDG Didier Lombard lors d'une réunion interne. « On est dans une considération humaine. Mais c'est la logique business qui commande », avait ajouté le directeur des « ressources humaines ».

Ces pressions ont touché tout le monde, aussi bien les fonctionnaires que les salariés de droit privé. L'inspection du travail souligne que la direction était parfaitement consciente des risques qu'elle faisait prendre et des conséquences sur les salariés puisqu'elle avait prévu des formations destinées à ses cadres pour « mettre en mouvement » le personnel, avec différentes phases allant de la résistance aux restructurations et des moyens de les faire céder jusqu'aux implications sur la santé des travailleurs.

Tout cela ne serait pas un complot, dit la direction. C'est en tout cas une politique délibérée qui a conduit à 35 suicides en 2008 et 2009, auxquels se sont ajoutés au moins onze nouveaux drames depuis le début de l'année. Cependant, ce qui choque le directeur général, ce ne sont pas les suicides, mais le fait que l'on puisse invoquer une quelconque responsabilité de la direction : « Chacun doit comprendre que dans un suicide il y a un aspect intime et vouloir à toutes forces récupérer ces drames individuels pour écrire le procès d'une entreprise, ça a quand même quelque chose de choquant ! », s'est même exclamé Stéphane Richard.

Du point de vue des salariés de France Télécom et d'ailleurs, c'est tout le contraire. On peut se féliciter que l'aggravation des conditions de travail dans une grande société ait été mise sur la place publique. Cela ne peut que renforcer le sentiment des travailleurs qu'ils sont dans leur bon droit de refuser collectivement un système aussi inhumain.

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