Après les résultats du premier tour, les apparences d'un changement qui n'en est pas un17/03/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/03/une2172.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Élections régionales

Après les résultats du premier tour, les apparences d'un changement qui n'en est pas un

Malgré les contorsions verbales des dirigeants de la majorité, s'il y a une chose incontestable dans ce que montrent les résultats du premier tour des élections régionales, c'est qu'ils constituent un désaveu de Sarkozy et du gouvernement.

Cela étant dit, si les élections restent un thermomètre pour mesurer l'opinion, ce thermomètre n'est évidemment qu'électoral et sa graduation est de plus en plus faussée par tout un ensemble d'évolutions qui vont bien au-delà du seul terrain électoral.

PROGRES DE LA GAUCHE OU RECUL DE LA DROITE ?

Il serait, par exemple, complètement faux de déduire du recul de la droite, que certains commentateurs qualifient d'historique, qu'il s'agit d'une poussée à gauche. Sûrement pas.

Même pas sur le plan arithmétique. Si, par exemple, le Parti Socialiste progresse en voix comme en pourcentage par rapport aux élections européennes de 2009, qui ont été particulièrement calamiteuses pour lui, il n'en est pas de même par rapport aux régionales précédentes en 2004. Il est, certes, difficile de faire des comparaisons directes car, en 2004, dans la plupart des régions, le PS dirigeait des listes incluant notamment le Parti Communiste. Aux régionales de 2010, en revanche, dans la majorité des régions, le PC s'est présenté, au premier tour, en concurrence avec le PS, dans le cadre du Front de Gauche (FG).

Si on compare le nombre de voix obtenues par les listes dirigées par le PS (avec ou sans le PC) aux régionales, ces listes avaient obtenu 8 133 645 voix en 2004, contre 5 564 465 en 2010. Si on additionne l'ensemble des suffrages obtenus par le PS et le PC en 2004, pour le comparer à l'ensemble obtenu par le PS et le FG en 2010, on constate également un recul : 8 913 125 voix en 2004 contre 6 663 839 en 2010.

Même en pourcentage, il n'y a pas une progression, mais un recul, les chiffres passant de 36,95 % en 2004 à 35,43 % en 2010.

Le problème n'est évidemment pas seulement arithmétique, mais aussi politique. La stratégie du PS n'a pas consisté à opposer à la politique de droite une « politique de gauche », si tant est qu'en cette période de crise une politique de gauche réformiste puisse exister !

La seule stratégie du PS a été « l'anti-sarkozysme passif », c'est-à-dire attendre que Sarkozy et son gouvernement se déconsidèrent tout seuls.

Au fond, Sarkozy a été le meilleur agent électoral de la gauche. Les électeurs, ou du moins cette fraction minoritaire dans l'électorat qui a jugé utile de se déplacer pour voter, ont choisi le vote PS comme moyen de marquer leur opposition à Sarkozy.

LES ABSTENTIONS

Une autre manifestation du désaveu a été l'accroissement des abstentions, passant de 39,2 % en 2004 à 53,63 % en 2010. Il a une signification politique en ce sens que, de toute évidence, il ne résulte pas d'une multiplication brutale du nombre de pêcheurs à la ligne. Mais cet accroissement de l'abstention vient aussi bien de l'électorat populaire, dégoûté de la politique - celle de la gauche comprise -, que de l'électorat de droite qui ne se retrouve pas ou plus dans la politique de Sarkozy.

Parmi les départements où le pourcentage des abstentions est le plus élevé, on trouve aussi bien des départements avec un électorat populaire très important que des départements qui votent traditionnellement à droite. Ainsi, par exemple, si c'est la Seine-Saint-Denis qui est la championne, avec 62,22 % d'abstentions, talonnée par cet autre département populaire qu'est la Moselle, ils sont suivis de près par la Haute-Savoie qui n'est pas considérée comme un département de gauche. Si la ville de banlieue parisienne, très populaire, de Clichy-sous-Bois est en tête pour l'abstention avec 71,48 %, dans Paris, les arrondissements huppés du 8e et du 16e sont au-dessus de la moyenne nationale.

Le surplus des abstentionnistes vient plus de l'électorat de droite que de l'électorat de gauche.

À la déconfiture électorale de l'UMP s'ajoute la progression du Front National. Une progression toute relative, en réalité, car, avec 11,6 %, le FN n'atteint pas ses résultats de 2004 (14,7 %) et encore moins ceux de 1998 (15 %). Tout se passe comme si cette fraction de l'électorat d'extrême droite, que Sarkozy avait détournée de Le Pen lors de la présidentielle de 2007, revenait au bercail.

Bien sûr, l'importance du nombre d'électeurs qui ont voté pour les listes du FN donne une indication inquiétante de l'influence des idées réactionnaires et chauvines. Plus inquiétant encore est le poids électoral du FN dans certaines villes ou certains quartiers populaires. Mais cet électorat d'extrême droite n'a pas disparu pendant les quelque deux ans où Sarkozy prétendait l'avoir détourné de Le Pen. Il a changé, un moment, de représentant, mais il n'a jamais cessé de peser sur la vie politique.

LES DEPLACEMENTS DE VOIX A L'INTERIEUR DE LA GAUCHE

Que peut-on déduire des déplacements internes des votes à l'intérieur de la gauche, la principale bénéficiaire de ce premier tour ?

Les écologistes se sont installés comme le troisième parti du pays et comme la deuxième composante de la gauche. Ce n'est certes pas non plus l'expression d'une poussée à gauche. Cela fait bien des années, sinon des décennies, que l'expression « parti de gauche » a perdu cette partie de sa signification qui indiquait une origine plus ou moins liée au mouvement ouvrier.

Cela fait des dizaines d'années que le PC et, à plus forte raison, le PS sont devenus, de par leurs perspectives et leur politique, des partis bourgeois. Mais la nature de leur électorat, leur langage et jusqu'à leur étiquette rappellent encore leurs lointaines origines dans le mouvement ouvrier.

Le parti écologiste n'a, en revanche, aucun lien avec le mouvement ouvrier. Le fait qu'il devienne la deuxième composante de la gauche au détriment du PC est significatif de l'évolution de l'ensemble de la gauche.

Le PC, de son côté, se réjouit de ses résultats acquis dans le cadre du Front de Gauche, en alliance avec le Parti de Gauche de Mélenchon.

Mais si la jonglerie entre l'indépendance par rapport au PS au premier tour et l'alignement derrière lui au second permettra, peut-être, au PC de garder sensiblement le même nombre de conseillers régionaux, on ne peut même pas dire que le FG aura réussi à mordre de façon significative sur l'électorat du PS. Ce dernier, même lorsqu'il est écarté des responsabilités nationales, est riche d'un grand nombre de notables, de réseaux présents partout dans le pays. Le seul à pouvoir concurrencer sur le même terrain l'UMP et ses réseaux.

Contrairement à la droite parlementaire qui, avec l'UMP, s'est donné un parti quasi unique, la gauche reste dispersée. Les régionales ont néanmoins illustré l'évolution vers la bipolarisation entre un camp de droite et un autre dit de gauche dont les politiques respectives sont quasi identiques mais qui, en étant susceptibles de se succéder au pouvoir, donnent l'illusion de l'alternance.

Cette fameuse alternance représente l'alpha et l'oméga de la démocratie bourgeoise. Elle laisse aux électeurs la possibilité de choisir entre deux camps. Mais le changement n'est en réalité qu'un moyen d'assurer la continuité. Il donne aux électeurs l'illusion du changement pour que rien ne change !

LES RESULTATS DE LUTTE OUVRIERE

Les résultats des listes Lutte Ouvrière indiquent, bien sûr, la faiblesse de l'influence électorale d'un courant politique qui ne veut pas jouer le jeu des institutions de la bourgeoisie. Les causes de cette faiblesse ne sont pas purement électorales. Elles tiennent surtout aux circonstances politiques mais aussi à la taille et à l'implantation de l'organisation qui incarne ces idées. Et elles ne peuvent pas être surmontées uniquement dans les élections.

Autant il est important que le courant communiste participe à toutes les élections qui sont à sa portée, ne serait-ce que pour ne pas laisser le monopole de la politique aux partis de la bourgeoisie, autant la renaissance d'un courant communiste dans ce pays ne passera pas par les urnes. Le crédit ne se gagne pas dans les élections, mais dans les luttes sociales. C'est pourquoi les résultats électoraux doivent inciter à « ni rire, ni pleurer, mais comprendre ».

Laissons aux journalistes les spéculations sur les résultats qu'aurait obtenus une alliance de toutes les listes « à la gauche de la gauche ». La question n'a aucun intérêt. Abandonner son programme au nom d'une unité électorale factice est non seulement un abandon mais, de toute façon, inefficace.

Pour notre part, à Lutte Ouvrière, nous avons choisi d'intervenir dans ces élections pour exprimer une politique et pour défendre des objectifs correspondant aux intérêts des travailleurs dans une situation marquée par la crise, les attaques de la bourgeoisie contre les travailleurs. Cette politique et ces objectifs, nous continuerons à les défendre après les élections, tout comme nous les avons défendus avant.

Et, au-delà d'une élection donnée, aussitôt faite, aussitôt oubliée, c'est de cette façon-là qu'en contribuant à la présence des idées communistes dans toutes les occasions politiques, on contribue à ce que renaisse un parti qui reprenne le drapeau que le Parti Socialiste et le Parti Communiste ont, l'un après l'autre, abandonné il y a longtemps.

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