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- Lutte ouvrière n°2159
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Dans le monde
Italie : Des dirigeants d'Eternit jugés pour la mort de milliers de personnes
À Turin, en Italie, vient de s'ouvrir le procès de deux hauts dirigeants du groupe Eternit, spécialisé dans le traitement de l'amiante : le baron belge Louis de Cartier de Marchienne et le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny. Ils sont accusés de « désastre sanitaire » ayant causé la mort de plus de 2 000 personnes, ouvriers et habitants des villes voisines des quatre usines italiennes. Des centaines d'autres personnes, contaminées, sont toujours en sursis. Eternit a cessé ses activités en 1986, mais l'amiante n'a été interdit en Italie qu'en 1992 (et en 1997 en France).
Ce procès est l'aboutissement du combat mené sans relâche depuis plus de vingt ans par les victimes ou leurs familles pour que les vrais responsables soient jugés par un tribunal pénal - ce que réclame pour la France l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva). Près de 3 000 victimes d'Eternit se sont portées partie civile.
Présente dans 72 pays, la multinationale Eternit a contaminé des salariés et des habitants sur toute la planète, relève le bulletin de l'Andeva. Elle possédait quatre usines en Italie, deux dans le nord, une à Reggio Emilia et une près de Naples. La plus grande mine d'amiante d'Europe est située à 20 km de Turin, et dans la région s'étaient installées diverses industries fabriquant des produits à base d'amiante. L'usine Eternit de Casale Monferrato, à une centaine de kilomètres de Turin, a pollué toute la région, comme l'ont fait les autres usines du groupe. Son site reste pollué, des années après sa fermeture.
Les témoignages des victimes sont accablants. Les trains transportant l'amiante depuis la mine traversaient cette ville de 50 000 habitants, en y disséminant les poussières. De plus, Eternit distribuait gratuitement les déchets amiantés, qui ont servi à empierrer les ruelles de la ville ainsi que des villes avoisinantes. Du fibrociment défectueux a aussi servi à construire des maisons pour les ouvriers ou les habitants. Quand ceux-ci, avertis du danger, ont voulu s'en débarrasser, vu le prix exorbitant demandé par les entreprises spécialisées, des décharges sauvages sont apparues le long des routes. Jusqu'à ce que municipalité, région et État décident de prendre les frais en charge, en se retournant ensuite contre Eternit.
Les ouvriers, directement en contact avec la poussière d'amiante, ont payé le plus lourd tribut pour que s'enrichissent les actionnaires d'Eternit. Bien que le risque de mésothéliome, cancer de la plèvre lié à l'inhalation de poussière d'amiante, ait été connu depuis des décennies, aucune mesure de protection des ouvriers n'avait été prise dans les quatre usines italiennes d'Eternit : aucune information sur les risques ni de visite médicale, pas de protection individuelle, pas de système d'aspiration des poussières, pas de ventilation des locaux, etc. De plus, les ouvriers rapportaient chez eux leurs bleus de travail pour les laver, exposant ainsi leurs proches à la poussière mortelle.
Encore maintenant, à Casale Monferrato, une cinquantaine de personnes meurent chaque année de mésothéliome, dont les deux tiers n'ont jamais travaillé à l'usine. Et ce n'est pas fini, puisque le « pic » de décès dus à l'amiante est prévu pour 2020.
De nombreuses délégations de travailleurs de différents pays victimes d'Eternit sont venues à l'ouverture du procès. Pour une fois, ce ne sont pas les lampistes qui sont jugés, mais les vrais responsables de ce drame humain. Mais il a fallu l'acharnement des victimes, appuyées pour une fois par la détermination d'un procureur, pour qu'il ait lieu... plus de vingt ans après le dépôt des premières plaintes.