Les murs qui restent à détruire13/11/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/11/une2154.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Les murs qui restent à détruire

Il y avait une belle brochette de chefs d'État pour fêter le vingtième anniversaire de la destruction du mur qui coupait Berlin en deux. Et, de la télévision qui consacre émission sur émission à la presse écrite, tous les médias exultent en parlant d'une nouvelle ère de liberté. « Ce jour-là, le monde a changé », ose même un quotidien.

Un mur avec des barbelés coupant en deux une ville et séparant des familles, c'était certainement une infamie, et on comprend la joie soulevée dans la population de Berlin par la démolition du mur.

Comment ne pas être écoeuré cependant par les congratulations des chefs d'État réunis pour fêter bruyamment la démolition du mur, mais qui sont responsables de bien d'autres murs qui se multiplient sur la planète ?

Le mur, bien matériel, que l'État d'Israël érige, avec la complicité de toutes les grandes puissances, pour enfermer le peuple de Palestine. Le rideau de barbelés dressé sur des centaines de kilomètres à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, pour empêcher les pauvres d'Amérique latine de venir chercher du travail sur le sol des États-Unis.

Le mur dont on cherche à entourer l'Europe, au sud comme à l'est, pour empêcher la migration venant du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Asie. Un mur qui est bien matériel à certains endroits, sous forme de barbelés, de navires militaires ou de surveillance policière. Mais le pire peut-être est qu'il se prolonge à l'intérieur même de l'Europe, sous forme de chasse aux sans-papiers qui devient souvent une chasse au faciès.

Et s'il est en effet révoltant que des familles aient pu être séparées par le mur à Berlin, combien de familles de travailleurs immigrés sont séparées par une politique de regroupement familial de plus en plus restrictive ?

Alors, non, la fin du mur de Berlin n'a pas ouvert une nouvelle ère de liberté ! Pas même celle de circuler ou de s'établir où l'on veut. Cette liberté-là est réservée, dans notre monde capitaliste, aux seuls capitaux. Pas aux hommes. Et surtout pas aux pauvres.

D'aucuns ont profité de l'anniversaire pour célébrer « la mort du communisme ». Mais le régime de l'Allemagne de l'Est n'avait rien à voir avec le communisme ! On pouvait autant croire les dirigeants de ce pays lorsqu'ils se prétendaient communistes qu'on a pu croire Sarkozy quand il s'est affirmé « le président du pouvoir d'achat »...

C'était un régime d'oppression contre la classe ouvrière, comme tous ses semblables des pays de l'Est. Et il faut se souvenir que c'est l'Allemagne de l'Est qui a connu la première grève quasi insurrectionnelle de l'après-guerre en Europe : celle des travailleurs du bâtiment à la Stalinallee en 1953.

Pour l'écrasante majorité de la population de l'Allemagne de l'Est, y compris pour une grande partie du monde du travail, à l'époque où elle était enfermée derrière les murs, l'Allemagne occidentale c'était les vitrines pleines de marchandises, les Mercedes, les salaires élevés. Mais, lorsque le mur de Berlin fut abattu, ceux de l'Est n'ont pas mis beaucoup de temps à réaliser que, pour accéder aux marchandises, il fallait de l'argent. Que, pour bénéficier de salaires corrects, il fallait un emploi. Et que la liberté capitaliste, c'était aussi le chômage.

« Ce jour-là, le monde a changé » ? Pas sur le plan social, pas pour la masse des travailleurs, même en Allemagne.

Alors, s'il est légitime de se réjouir qu'un mur soit tombé et que des barbelés ne séparent plus les peuples de la partie occidentale de l'Europe de ceux de la partie orientale, les travailleurs n'ont certainement aucune raison de se joindre à ceux qui le commémorent le plus bruyamment. L'émancipation des travailleurs ne pourra venir que de la destruction d'un autre mur, celui de l'argent, et du pouvoir que la possession des capitaux donne aux exploiteurs. On ne pourra dire « le monde a changé » que lorsque la grande bourgeoisie, les banquiers, les actionnaires seront expropriés et que la population laborieuse, la grande majorité de la société, prendra en main la direction de l'économie pour la gérer démocratiquement, non pas en fonction des profits de quelques-uns, mais en fonction des besoins de tous. Alors, mais alors seulement, le mot « liberté » aura une signification pour tous !

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 9 novembre

Partager