9 novembre 1989 : La chute du Mur de Berlin, ce n'était pas l'écroulement du communisme04/11/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/11/une2153.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

9 novembre 1989 : La chute du Mur de Berlin, ce n'était pas l'écroulement du communisme

Anniversaire surmédiatisé ces temps-ci, l'ouverture le 9 novembre 1989 du Mur qui séparait Berlin-Est de Berlin-Ouest a donné lieu à de multiples commentaires sur le thème de « l'écroulement du communisme ».

La CDU allemande, le parti de droite au pouvoir derrière la chancelière fraîchement réélue Angela Merkel, vient de patronner une grande commémoration réunissant à Berlin les anciens chefs d'État de l'époque, Bush-père, Helmut Kohl et Gorbatchev, entourés des anciens Premiers ministres hongrois et polonais Miklos Nemeth et Tadeus Mazowiecki, de dizaines d'ambassadeurs et de 1800 invités. Congratulations mutuelles et bons mots entre « anciens collègues », comme dit Bush, alternaient avec les références aux absents, Margaret Thatcher gravement malade et François Mitterrand, décédé.

Sarkozy, une fois n'est pas coutume, n'était pas de la fête : il n'était, à l'époque, que maire de Neuilly et député des Hauts-de-Seine. Mais il se rattrapera en étant présent doublement aux célébrations. Il sera présent en personne, à Berlin, aux côtés d'Angela Merkel, de Gorbatchev, Lech Walesa, Gordon Brown, Dmitri Medvedev et Hillary Clinton, dans le cadre d'une « fête de la liberté ». Et il sera en esprit, à Paris, pendant le show organisé en parallèle place de la Concorde par ses amis de l'UMP sous forme d'un son et lumière retransmis en direct à Berlin et modestement estimé à 795 000 euros. Mais au-delà de toutes ces célébrations intéressées, que s'est-il vraiment passé il y a vingt ans à Berlin ?

L'ABOUTISSEMENT D'UN PROCESSUS

Le 9 novembre 1989, le gouvernement de la RDA, la République démocratique allemande, autorisait les Allemands de l'Est à voyager librement à l'étranger « sans aucune condition particulière ». Au bout de quelques heures, à Berlin, les gardes-frontières des points de passage du Mur, débordés par des milliers de Berlinois, laissaient passer tout le monde. Depuis des mois, notamment depuis l'annonce, en mai 1989, de l'ouverture par la Hongrie de sa frontière avec l'Autriche, des centaines, puis des milliers d'Allemands de l'Est organisaient déjà leur passage à l'Ouest par l'intermédiaire de l'ambassade de RFA, la République fédérale d'Allemagne de l'Ouest.

Érigé en août 1961, ce Mur qui séparait Berlin en deux par 43 kilomètres de pierres, parpaings, barbelés, miradors, surveillé par des milliers de gardes-frontières, tirant sur quiconque tentait de le franchir, était l'odieuse concrétisation des 1 400 kilomètres de frontière entre la RFA et la RDA. Si l'on s'en tient à la propagande des bureaucrates staliniens qui dirigeaient la RDA, le Mur devait être un rempart contre « l'émigration, le noyautage, l'espionnage, le sabotage, la contrebande et l'agression en provenance de l'Ouest ». En réalité, il tentait de limiter les départs, en un lieu où il suffisait de prendre le métro pour passer à l'Ouest, de nombreux citoyens de l'Est fuyant la dictature et la Stasi - la sûreté d'État - ou tablant sur un avenir meilleur en RFA.

Car le présent qui était le leur, sous un régime dirigé par le SED, le parti socialiste unifié qui se prétendait communiste et était présenté comme tel par les anticommunistes du monde entier, était tout sauf radieux. La vie en RDA, même si le chômage et les sans-abri y étaient rares, se déroulait dans la grisaille et la hantise permanente d'une dénonciation et d'une arrestation par l'omniprésente Stasi. L'Occident cristallisait bien des rêves, au travers de sa vitrine ouest-berlinoise, même si ses dirigeants étaient les premiers responsables de la division du monde en deux blocs à la suite de la Deuxième Guerre mondiale.

À l'époque, la crainte des Alliés impérialistes de voir éclater des mouvements révolutionnaires en Europe les avait fait accepter un partage des tâches de police avec la bureaucratie stalinienne d'URSS et les dirigeants des pays de l'Est gravitant dans son orbite. C'est dans ce cadre visant à prévenir toute intervention de la classe ouvrière, consacré par les conférences de Yalta et Potsdam, que l'Allemagne avait été divisée en 1945 en quatre zones d'occupation : les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France se partageaient la partie Ouest, l'Est étant dévolu à l'URSS de Staline. Tandis que les trois zones occidentales s'unifiaient en 1949 sous le nom de République fédérale d'Allemagne (RFA), l'Est devenait la RDA.

LA CRISE DECISIVE DU « BLOC SOVIETIQUE »

Le « bloc de l'Est » groupant autour de l'URSS les pays dits de « démocratie populaire » comme la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la RDA, et séparé de l'Occident par un « rideau de fer » n'était cependant pas immobile. En 1953, c'est à Berlin-Est qu'éclata la première révolte contre les régimes imposés par la bureaucratie russe. À partir de 1956, la « déstalinisation », résultant de la lutte pour la succession du dictateur défunt ouvrit des brèches menant à l'éclatement des révolutions hongroise et polonaise de 1956. Lentement les dirigeants des pays d'Europe de l'Est prirent du champ par rapport à leur protecteur soviétique ; à l'exception notable de la RDA dont les dirigeants, face à la pression directe de la RFA, avaient d'autant plus besoin de l'appui de l'URSS.

Mais pendant ce temps c'est au sein de la bureaucratie russe elle-même qu'une crise politique murissait. En 1985 affaiblie par une lourde guerre en Afghanistan, atteinte par la baisse du prix du pétrole et du gaz, l'URSS entama avec Gorbatchev, en 1985, les réformes de la perestroïka dans une atmosphère proclamant la « glasnost », la transparence. La mainmise sur les pays satellites, les « démocraties populaires », devenait d'autant plus une charge que les forces sociales qui s'y opposaient s'exprimaient plus librement. Et c'est l'URSS qui commença à desserrer son emprise.

Après le retrait de l'armée russe d'Afghanistan en février 1989, ce fut la Hongrie qui, en mai 1989, ouvrit le « rideau de fer », sans réaction de la part de Moscou. En août, Mazowiecki, catholique et membre du syndicat Solidarnosc, devint Premier ministre en Pologne. En RDA, des milliers de gens continuaient de fuir, par la Hongrie ou la Tchécoslovaquie. Dès septembre, la contestation grandit en RDA, au travers notamment des églises protestantes où s'affichaient les textes des opposants. Puis les manifestations, tous les lundis, réunirent des dizaines de milliers de participants, notamment à Leipzig, jusqu'à une manifestation estimée à un million de participants, à Berlin, le 4 novembre.

Gorbatchev lui-même, lors de fêtes du quarantième anniversaire de la RDA en octobre 1989, exclut le recours à la force armée contre les opposants. Il ne fit rien pour empêcher le limogeage du dirigeant est-allemand Erich Honecker, symbole honni du régime des bureaucrates. « Wir sind das Volk », nous sommes le peuple, clamaient les manifestants, qui voyaient venir la fin de ce régime, dès lors qu'il était ouvertement lâché par les dirigeants de l'URSS.

La crise politique en RDA et la chute du Mur allaient rapidement ouvrir la voie à la réunification de l'Allemagne sous direction de la RFA, accueillie par tous comme l'évidente réunification d'un peuple que les conséquences du grand conflit impérialiste avait durablement divisé. Mais si les premiers jours furent des jours d'une euphorie liée à la chute du régime dictatorial de l'Est et au libre accès à une Allemagne de l'Ouest vue comme le pays de cocagne, celle-ci allait vite faire place à la désillusion.

Rapidement, l'économie de l'ex-RDA s'effondra. Entre 1990, année de la réunification, et 1992, le produit intérieur brut des Länder de l'Est chuta de 38 %. Les grands complexes industriels démantelés, des milliers d'entreprises privatisées, le règne de la rentabilité capitaliste dissipa en quelques années bien des espoirs, faisant grimper le taux de chômage jusqu'à 17 % dans les régions de l'ex-Allemagne de l'Est, tandis qu'il était de 8 % dans l'Ouest. Une certaine protection sociale, en termes d'emploi, de logement, d'études, de santé, laissait le champ libre à la « libre concurrence » entre travailleurs, la grise dictature bureaucratique à la « démocratie » des Bourses.

Ce n'est pas le communisme qui a fait faillite en novembre 1989, entraîné dans sa chute par le Mur de Berlin. En revanche, c'est bien lui qui représente toujours la seule perspective de transformation d'une société capitaliste génératrice de crises économiques, de chômage, de pauvreté et de guerres.

Viviane LAFONT

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