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- Lutte ouvrière n°2138
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Tchétchénie : Après l'assassinat d'une militante des Droits de l'Homme - le silence des cimetières
La militante des Droits de l'Homme, Natalia Estemirova, a été assassinée le 15 juillet dernier quelques heures après avoir été enlevée à Grozny, la capitale de la Tchétchénie, devant ses voisins terrorisés. L'organisation Mémorial, dont elle animait la section tchétchène, accuse, sinon le président Ramzan Kadyrov, homme des Russes à la tête de la Tchétchénie, du moins son administration d'être responsable de son assassinat.
Née en 1959 à Saratov (région de la Volga) d'une mère russe et d'un père tchétchène, elle parlait les deux langues. Amie de la journaliste russe assassinée, Anna Politkovskaïa, elle l'avait accompagnée lors de ses reportages en Tchétchénie. Natalia Estemirova avait conscience qu'elle pouvait connaître le même sort que son amie parce qu'elle dénonçait avec la même détermination les exactions du régime de Kadyrov et, auparavant, celles des troupes russes. Il y a quelques mois, un haut fonctionnaire tchétchène l'avait avertie : « Tu n'en as plus pour longtemps, tes jours sont comptés ».
Le bureau de Mémorial à Grozny, dont elle était l'âme, recevait victimes et témoins qui avaient le courage de témoigner contre les meurtres, les enlèvements, les exécutions sommaires ou les actes de torture du régime de Grozny.
Le 7 juillet, au moment où Barack Obama prenait le café avec Poutine, Natalia Estemirova avait annoncé sur le site internet de Mémorial qu'un jeune homme, rebelle réel ou supposé, venait d'être exécuté sommairement par les hommes de Kadyrov devant les habitants du village d'Akhtimtchou-Borzoï. Que cette nouvelle sorte de Tchétchénie avait fortement déplu au gouvernement de Kadyrov qui l'avait fait savoir à Mémorial.
Le jour même de l'assassinat de la militante des Droits de l'Homme est paru à Moscou un rapport de 1 100 pages intitulé Tribunal international pour la Tchétchénie, auquel elle avait collaboré et qui était censé servir de base juridique à un de ses objectifs : poursuivre et inculper les responsables des crimes de guerre commis en Tchétchénie, en tête Vladimir Poutine. Le rapport vient d'être saisi par les autorités russes au nom d'une prétendue lutte « contre l'extrémisme ».
Les puissances occidentales l'avaient couverte de médailles, prix et distinctions diverses, mais cela ne pouvait en aucune façon la protéger. Aujourd'hui, les mêmes versent des larmes de crocodile et réclament, en choeur avec Medvedev, une enquête qui, comme bien d'autres du même genre, se perdra dans les sables d'un « régime spécial », aboli théoriquement en avril dernier après des années d'exactions, mais qui continue de sévir contre les opposants.
Les responsables de Mémorial ont décidé de cesser leurs activités à Grozny en raison du climat de terreur qui règne en Tchétchénie. Ramzan Kadyrov qui avait traité Natalia Estemirova de « pute » parce qu'elle sortait nu-tête et qui s'était vanté devant elle d'avoir du sang sur les mains, a déclaré hypocritement : « Si les employés de Mémorial quittent la Tchétchénie, qui va protéger les droits des citoyens ? ». En tout cas, pas lui, qui considère la Tchétchénie comme sa « propriété privée » !
Natalia Estemirova et Anna Politkovskaïa avaient en commun la même détermination de dire la vérité sans faiblir devant les pressions des régimes russe ou tchétchène. Elles n'étaient pas des révolutionnaires, mais dire la vérité peut l'être suffisamment pour qu'un régime dictatorial ait pu choisir de les faire taire.