Nigeria : Sous le joug des compagnies pétrolières29/05/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/05/une2130.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Nigeria : Sous le joug des compagnies pétrolières

« Le potentiel du Nigeria est énorme. Rendez-vous compte, c'est deux fois la France et deux fois son nombre d'habitants », s'est enthousiasmé Christophe de Margerie, directeur général de Total.

Total se partage avec Shell, Chevron, ExxonMobil et l'italien ENI les ressources pétrolières du delta du Niger, laissant à la dictature en place 13 % de royalties. Pendant ce temps, selon la Banque Mondiale, 70 % des Nigérians vivent encore avec moins de 1 dollar par jour.

L'exploitation pétrolière a commencé en 1956 et elle ne se limite pas au pillage des richesses du sous-sol : des zones marécageuses du delta du Niger sont polluées, alors qu'elles étaient des zones traditionnelles de pêche, la mangrove est détruite par les fuites des pipe-lines, tandis que la santé des habitants est attaquée par le brûlage des gaz associés à l'extraction pétrolière. Il était prévu d'interdire cette pratique à compter du 1er janvier 2008 ; cependant, sous la pression des compagnies pétrolières, le délai a été repoussé jusqu'en 2010.

Malgré le contrôle de l'armée sur cette région, un mouvement de résistance populaire avait connu de réels succès au début des années 1990. Une répression féroce avait ensuite laissé aux compagnies pétrolières une dizaine d'années d'accalmie. Mais depuis 2006 une nouvelle forme de rébellion armée s'est développée, qui attaque les installations, sabote les oléoducs, pratique des enlèvements. L'armée vient de lancer une offensive contre les « rebelles », dont la population fait les frais.

De son côté, la compagnie Shell comparaît en ce moment devant un tribunal de New York pour ses activités au Nigeria. Elle est accusée d'avoir une responsabilité dans la pendaison, en novembre 1995, de l'écrivain Ken Saro-Wiwa et de huit autres personnes, au terme d'un procès devant un tribunal militaire commandité par la dictature de l'époque du général Sani Abacha. Ces opposants avaient formé le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni, demandant une meilleure répartition des richesses du pétrole en faveur des populations locales, et des réparations pour la pollution mortelle causée par le brûlage des gaz par des torchères. En 1993, ce mouvement, le Mosop, avait organisé une série de blocus des installations pétrolières, réussissant à faire stopper les activités de la filiale locale de Shell dans le pays ogoni. Ce succès contribua à étendre la protestation et le Mosop appela au boycott des élections qui suivirent.

Tandis que les compagnies pétrolières menaçaient de se retirer de tout le delta du Niger, la dictature se lança dans une féroce répression. En août1993, l'armée assassina trente-cinq habitants du petit village ogoni de Ka et en chassa des centaines d'autres, avant de le raser complètement. En mai 1994, quatre personnes du peuple Ogoni étaient assassinées, mais ce furent les dirigeants du Mosop qui en furent accusés au cours d'une parodie de justice qui dura dix mois, largement retransmise dans tout le pays et orientée contre « le manque de patriotisme » du Mosop, de façon à raviver les conflits ethniques.

Avant l'exécution de Ken Saro-Wiwa, le responsable de Shell pour le Nigeria avait déclaré au frère de celui-ci qu'il pourrait peut-être faire quelque chose, si la campagne contre les compagnies pétrolières s'arrêtait. La famille de l'écrivain pendu rappelle aussi que Shell était au courant des pots-de-vin proposés à deux témoins du procès pour qu'ils chargent les accusés. Et des documents de Shell doivent être rendus publics lors de ce procès.

Partager