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Salvador : La gauche remporte l'élection présidentielle
De 1980 à 1992, le Salvador a en effet été le théâtre d'une guerre civile que la droite réactionnaire et anticommuniste a remportée grâce à l'appui politique et militaire des États-Unis donné aux escadrons de la mort - les contras - au service des grands propriétaires. Une guerre marquée dès l'origine par la terreur que les possédants faisaient régner contre les petits paysans et qui a tué 75 000 personnes, dont 35 000 civils, cela dans un pays de seulement six millions d'habitants.
Les conséquences de la guerre civile
Des communautés villageoises entières n'ont survécu qu'en fuyant les tueurs de la contra et en se réfugiant dans les pays voisins. Depuis la fin de la guerre civile certains villages ont pris le nom de ceux qui en furent victimes, comme la Ciudad Romero, du nom de l'archevêque Oscar Romero assassiné parce qu'il dénonçait dans ses prêches les massacres dus aux grands propriétaires.
Marquées par la guerre civile, mais aussi par les difficultés à reprendre une vie normale après 1992, ces communautés paysannes partagent parfois les mêmes aspirations au changement que les communautés formées à partir de soldats de l'armée régulière, démobilisés après la guerre civile et ayant reçu des terres.
Les aspirations des classes pauvres sont immenses. Durant les vingt dernières années, le Salvador a été en outre ravagé par les privatisations des services sociaux, de la santé, de l'éducation et l'accès à l'eau notamment. À cela est venue s'ajouter comme partout l'explosion des prix des denrées alimentaires et des carburants. Les prix des conserves de haricots, par exemple, ont triplé en deux ans. Les produits de base coûtent plus cher qu'aux États-Unis. Bien des Salvadoriens ont vu leur niveau de vie plonger en dessous du seuil de pauvreté, en même temps que se développait la criminalité des gangs. S'ils n'ont pas plus sombré, c'est seulement parce que les très nombreux Salvadoriens en exil envoient de l'argent, notamment des États-Unis, à leurs proches restés au pays.
Un mouvement de guérilla reconverti
Le Front Farabundo Marti porte le nom d'un dirigeant communiste salvadorien, assassiné en 1932, lors d'une insurrection paysanne à laquelle le minuscule Parti Communiste salvadorien d'alors s'était associé. Mais son dirigeant actuel n'a rien à voir ni avec le communisme des années trente, ni même avec la période de la guerre civile des années quatre-vingt. Mauricio Funes n'a pas participé à la guerre civile.
Cet ancien journaliste de la chaîne de télévision américaine CNN et animateur télé connu a abandonné les discours radicaux que tenaient ses prédécesseurs lors des élections. Si le Front compte encore dans ses rangs d'anciens guérilleros, une grande partie de ses cadres n'ont d'autre ambition que de gérer le Salvador, sans remettre en cause la domination économique des classes possédantes.
À la base du Front, on rêve des réalisations sociales de Chavez, mais au sommet on s'inspire du Brésilien Lula, des Kirchner d'Argentine ou encore de l'espagnol Zapatero. On a pu entendre un ancien chef de la guérilla, Sigfrido Reyes, titulaire d'un master en politique économique de l'université de New York, déclarer : « Tous les mouvements politiques, tous les corps sociaux changent. (...) Nous ne représentons pas seulement les travailleurs, mais aussi les entreprises nationales qui prennent le risque d'investir dans notre pays. » Mais il est impossible de servir deux maîtres et un des conseillers de Funes, Hato Hasbun, a prévenu : « Nous devons respecter les accords internationaux qui ont été signés. (...) Nous voulons être un gouvernement responsable. »
Or, depuis la victoire des contras soutenus par les États-Unis, l'économie salvadorienne est entièrement sous leur domination. Elle n'a d'ailleurs pas de monnaie propre et utilise le dollar pour tous les échanges. Parmi les pays d'Amérique latine qui ont participé à l'intervention américaine en Irak, le Salvador y est resté le plus longtemps, il vient tout juste de rapatrier son contingent de 200 militaires.
Quel changement ?
La victoire de Mauricio Funes a été saluée par Hugo Chavez qui y voit « la vague de fond qui s'est levée dans toute l'Amérique latine et dans les Caraïbes ». Mais si le nouvel élu déclare que « le Salvador est à l'aube d'une nouvelle ère de changement », il a annoncé qu'il entendait copier le Brésil de Lula plutôt que le Venezuela de Chavez.
L'ancien journaliste de CNN avait d'ailleurs fait plusieurs voyages à Washington ces derniers temps pour y rencontrer des responsables et avait annoncé, avant l'élection, que le Salvador resterait un allié des États-Unis. Un conseiller de Washington a même dit avoir été favorablement impressionné en rencontrant lors d'un voyage au Salvador un ancien commandant de la guérilla se rendant à un rendez-vous d'affaires à la chambre de commerce !
Il n'est donc pas étonnant qu'à peine élu, Funes ait cherché à rassurer les milieux financiers en annonçant que le dollar resterait la monnaie nationale. En échange de quoi, il a reçu les félicitations de Washington et le président Obama s'est dit prêt à coopérer avec lui. Quant à son adversaire de droite battu à l'élection, Rodrigo Avila, un ancien chef de la police formé par le FBI, il a promis de mener, dans l'opposition, une « action constructive ». Son parti l'Arena (Alliance républicaine nationaliste) avait été formé par des militaires de la contra, notamment le major Robert d'Aubuisson, chef d'un escadron de la mort, décédé en 1992 et connu pour avoir commandité l'assassinat de l'archevêque Romero en 1980.
À l'annonce du résultat, les partisans de Funes et du Front ont laissé éclater leur joie et sont descendus dans la rue, tout de rouge vêtus et drapeaux à la main. Mais le changement auquel aspirent les classes populaires risque de se faire attendre, à moins qu'elles ne se donnent le moyen de l'imposer.