Février 1934 en France : Le réveil ouvrier18/02/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/02/une2116.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Février 1934 en France : Le réveil ouvrier

Nombreux sont ceux, parmi les économistes ou politiciens, qui évoquent aujourd'hui la crise économique de 1929 pour souligner la gravité de la crise actuelle. Mais beaucoup moins nombreux sont ceux qui rappellent que cette crise de 1929 eut de graves conséquences politiques. En Allemagne, celle-ci déboucha sur la montée du nazisme, auquel la bourgeoisie allemande ouvrit les portes du pouvoir pour briser la classe ouvrière : le 30 janvier 1933, le chancelier Hindenburg remettait le pouvoir à Hitler. En France, le 6 février 1934, quelques milliers de manifestants d'extrême droite armés de revolvers, de matraques et de rasoirs provoquèrent la chute du gouvernement radical, imposant un gouvernement réactionnaire qui leur était favorable. Cette menace, que la victoire du nazisme rendait très concrète, fit alors réagir la classe ouvrière et réveilla sa combativité.

Bien qu'avec retard, la France avait été elle aussi touchée par la crise des années 1930. La production avait beaucoup baissé en 1931. En 1934, sur 12 millions de salariés, plus d'un million était au chômage total ou partiel. L'exploitation s'accroissait alors que le pouvoir d'achat baissait pour ceux qui avaient encore un emploi. D'autres couches sociales, comme les petits agriculteurs, étaient touchées elles aussi.

6 février 1934 : en France aussi, la menace fasciste

En février 1934, au désordre financier et au chaos économique s'ajoutèrent les scandales politiques. Le Parti Radical, au pouvoir depuis 1932, fut éclaboussé par une affaire de corruption, le scandale Stavisky, du nom d'un escroc qui avait émis des faux bons de caisse avec la complicité du maire radical de Bayonne. L'extrême droite, qui avait le soutien matériel et financier de nombre de grands patrons, trouvait là un terrain favorable pour tenter d'entraîner une partie de la petite bourgeoisie exaspérée.

Une des plus importantes organisations d'extrême droite d'alors était celle des Croix de feu, dirigée par le colonel de la Rocque : elle comptait, en 1934, 35 000 membres actifs, 130 000 sympathisants. Elle bénéficiait du soutien d'un De Wendel, patron de la sidérurgie, et d'un Mercier, patron de l'électricité. L'Action Française, monarchiste, était la plus active, avec 60 000 militants. Elle organisait des troupes de choc, les Camelots du roi, qui s'attaquaient aux vendeurs de la presse de gauche. Il y avait aussi les Jeunesses patriotes, dont le chef était le député et producteur de Champagne Pierre Taittinger, ou encore Solidarité française subventionnée par l'industriel François Coty qui avait fait fortune dans la parfumerie. Depuis le mois de janvier 1934, toutes ces « ligues », encouragées par la victoire du fascisme en Italie et en Allemagne, s'agitaient.

Suite au limogeage du préfet de police Chiappe, dont la complaisance vis-à-vis de l'extrême droite était notoire, par le nouveau président du Conseil, le radical Daladier, les organisations d'anciens combattants et les ligues fascistes appelèrent à manifester le 6 février 1934. Des milliers de manifestants convergèrent vers la place de la Concorde pour réclamer la démission de Daladier et le retour de Chiappe. La manifestation tourna vite à l'émeute. Des combats avec les forces de police et la garde républicaine eurent lieu toute la soirée sur la place ; il y eut 15 morts et des milliers de blessés. Le gouvernement radical de Daladier dut démissionner et Gaston Doumergue, ancien président de la République, constitua un gouvernement réactionnaire, dont le ministre de la Guerre était un certain maréchal Pétain, et qui prit nombre de mesures de rigueur.

Cette manifestation de l'extrême droite le 6 février provoqua une vive émotion dans les rangs d'une grande partie des travailleurs, conscients du danger qu'elle représentait. Ils espéraient une réaction forte et unitaire de leurs organisations ouvrières.

Le mouvement ouvrier à la veille des journées de février 1934

Les deux principaux partis se réclamant de la classe ouvrière étaient alors le Parti Socialiste (Section française de l'Internationale Ouvrière) et le Parti Communiste (Section française de l'Internationale Communiste).

Le Parti Socialiste, né en 1905, qui était sorti minoritaire en 1920 du congrès de Tours où la majorité des militants avait rallié l'Internationale Communiste, était redevenu un grand parti, avec 135 000 adhérents. Même s'il parlait toujours de révolution dans les discours dominicaux, sa direction menait une politique résolument réformiste, avec à sa tête Léon Blum et Paul Faure, et appartenait à la majorité parlementaire élue en 1932.

Le Parti Communiste, né en 1920 dans l'enthousiasme suscité par la révolution russe, n'était pas devenu un parti révolutionnaire. La dégénérescence bureaucratique de l'URSS avait entraîné celle de l'Internationale Communiste et les Partis Communistes suivaient ainsi tous les tournants de la politique stalinienne. En France, en 1933, le Parti Communiste ne comptait plus que 28 000 membres, des militants dévoués qui avaient su résister à la répression des années 1920 où les ouvriers communistes étaient systématiquement pourchassés ou licenciés. Mais ses dirigeants, les Maurice Thorez, Jacques Duclos ou Marcel Cachin, menaient une politique tournant le dos aux intérêts des travailleurs, en condamnant au même titre socialistes et fascistes, qualifiés de « frères jumeaux ».

Sur le plan syndical, à côté de la CGT proche des socialistes, on trouvait la CGTU, « U » pour unitaire, dans laquelle militaient les ouvriers communistes qui avaient été poussés dehors par l'appareil de la CGT.

La journée du 12 février 1934 : l'unité ouvrière dans la rue

Le 7 février 1934, les fédérations socialistes de Seine et de Seine-et-Oise, dirigées par des militants plutôt à gauche de la direction du parti, demandèrent une entrevue au Parti Communiste dans la perspective d'une action commune. Celui-ci restait sur la même politique renvoyant dos à dos dirigeants socialistes et fascistes et appela seul à une manifestation le 9 février, demandant l'« arrestation immédiate de Chiappe et des chefs des ligues fascistes », « la dissolution des ligues fascistes, la défense des salaires et des traitements », mais aussi dénonçant « l'union nationale réactionnaire fasciste préparée par le Parti Radical et le Parti Socialiste ».

Des milliers de travailleurs répondirent cependant à l'appel. En dépit du sectarisme de la direction du Parti Communiste et des tergiversations de celle du Parti Socialiste, nombre de militants socialistes se joignirent aux manifestants communistes. Il y eut des affrontements violents avec la police, des barricades furent érigées, des coups de feu échangés. Six manifestants furent tués, plusieurs centaines furent blessés.

De son côté, la CGT appelait pour le lundi 12 février à une grève générale « contre la menace fasciste et pour la défense des libertés publiques », limitée à 24 heures, appel relayé par le Parti Socialiste. Percevant sans doute le mécontentement de la base, la veille le PC et la CGTU finirent pas se rallier, sans qu'il soit question de cortège commun.

Le 12 février, la grève générale fut un immense succès. Les travailleurs répondirent à l'appel massivement, partout dans le pays. La préfecture de police reconnut qu'à Paris, sur 31 000 ouvriers des PTT, 30 000 étaient en grève. La CGT estima à un million le nombre de travailleurs de la région parisienne ayant répondu à son appel. Dans la métallurgie, la proportion de grévistes atteignit 75 %. Dans de nombreuses villes, le pourcentage de grévistes fut important. Des manifestations imposantes se déroulèrent partout, souvent les défilés furent finalement unitaires. À Paris, les deux cortèges séparés se rejoignirent aux cris de « Unité, unité ! » : les travailleurs avaient imposé l'unité dans la rue.

Ce fut cette mobilisation voulue à la base dans les grèves et dans la rue qui fit le succès de cette journée.

Les travailleurs découvraient qu'ils pouvaient être forts. C'était un énorme encouragement pour l'avenir. Mais, au lendemain du 12 février, tous les problèmes restaient en suspens. Quel allait être cet avenir ? Qui allait l'emporter, de la classe ouvrière ou des bandes d'extrême droite ?

Les années qui allaient suivre, jusqu'à la grève générale de juin 1936, allaient confirmer le réveil ouvrier et montrer que les travailleurs avaient toutes les possibilités de renverser le rapport de forces en leur faveur ; pas seulement en France, comme allait le montrer en Espagne la riposte ouvrière à la tentative de coup d'État de Franco. Seule l'absence d'une perspective révolutionnaire, du fait de la politique des Partis Communiste et Socialiste allait conduire, deux ans après 1936, le mouvement ouvrier à la défaite et ouvrir la voie à la guerre.

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