Il y a vingt ans, le 5 mai 1988 : Le massacre d'Ouvéa.23/04/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/04/une2073.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a vingt ans, le 5 mai 1988 : Le massacre d'Ouvéa.

26 morts, à trois jours du second tour d'une élection présidentielle. On était en 1988. Dans cette France qui se dit le pays des droits de l'homme, plus exactement dans l'un des derniers confetti de l'ex-empire colonial français, la petite île d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie.

Le 22 avril, un groupe d'indépendantistes kanaks (les occupants de l'île avant l'arrivée des Européens) avait attaqué la gendarmerie de Fayaoué, sur l'île d'Ouvéa. Des élections locales sur le statut du territoire ayant lieu en même temps que la présidentielle, pas moins de 32 militaires surveillaient les 2 700 habitants de cette île de 132 km2. Cinq gendarmes furent tués, les 27 autres capturés, leur armement saisi. 16 gendarmes furent emmenés par leurs ravisseurs dans une grotte au nord de l'île.

Les indépendantistes voulaient faire pression sur les autorités françaises contre le statut proposé par le ministre des DOM-TOM Pons. Le moment semblait favorable, puisque la bataille présidentielle opposait Mitterrand, le président socialiste sortant, et Chirac, Premier ministre depuis que les législatives de 1986 avaient donné une majorité de droite.

Le statut Pons était dans la continuité de la politique colonialiste française. Les indépendantistes voulaient, par des négociations avec le gouvernement français, mettre fin aux accaparements des terres tribales par la bourgeoisie « caldoche » descendant des colons européens. Ils pensaient avoir de meilleures chances avec un gouvernement de gauche et attendaient le résultat de l'élection présidentielle et des législatives qui suivraient sans doute.

En Nouvelle-Calédonie même, les Kanaks étaient minoritaires : ils représentaient 44 % de la population, contre 34 % de Caldoches et 9 % de Wallisiens, la majorité des uns et des autres étaient venus attirés par l'exploitation des mines de nickel qui avait fait durant près d'un siècle la richesse de l'archipel. Les Kanaks ne pouvaient l'emporter dans les urnes et boycottaient tous les votes sur le statut.

De toute façon, justice et police étaient contre eux. Depuis l'occupation française en 1853, les Kanaks étaient traités comme des sauvages et leurs mouvements de révolte écrasés dans le sang. Depuis l'élection de Mitterrand en 1981, les assassinats de militants kanaks n'avaient pas cessé : en 1981, le dirigeant de l'Union Calédonienne indépendantiste Pierre Declecq ; en 1984 dix militants tués dans une embuscade à Hienghène, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, le dirigeant du FLNKS (Front de libération nationale kanak socialiste, le nouveau nom du parti indépendantiste) ; l'année suivante, Eloi Machoro, un des principaux dirigeants du FLNKS, abattu avec un de ses camarades par les tireurs d'élite du GIGN. En octobre 1987 les assassins de Hienghène étaient acquittés par un jury d'assises de Nouméa entièrement composé de Caldoches !

Par la prise d'otages, les militants indépendantistes voulaient neutraliser les forces de police et geler la situation jusqu'au lendemain des élections. En février déjà, neuf gendarmes avaient été pris en otages par une tribu kanak, puis relâchés. Ces calculs échouèrent devant l'intransigeance du gouvernement. En perte de vitesse devant Mitterrand, Chirac voulait tenter un coup d'éclat, et sans doute aussi tenter de récupérer une partie des 14 % de voix de Le Pen. Mitterrand donna son accord à l'opération, sans doute pas fâché que ce soit la droite qui prenne l'affaire en mains.

L'île d'Ouvéa fut donc mise en état de siège, interdite à la presse, les habitants brutalement interrogés, des maisons saccagées. Le 3 mai, l'assaut fut décidé, apparemment contre l'avis du chef du GIGN, qui avait été en contact direct avec les ravisseurs. Une force d'une centaine d'hommes, membres du GIGN, des commandos de marine et du bataillon action des services secrets, anéantit les combattants indépendantistes et libéra les otages, au cours d'une bataille de plus de cinq heures. Il y eut 26 morts : deux soldats des services secrets, 19 indépendantistes kanaks tués sur le coup et cinq autres morts ensuite, dans des conditions obscures, qu'aucune enquête n'essaya jamais d'élucider. En revanche, il n'y eut pas de victime parmi les otages, ce qui semble confirmer que les ravisseurs n'en voulaient pas à leurs vies.

Chirac et son gouvernement avaient gagné la bataille d'Ouvéa, au prix de 26 vies. Cela ne les empêcha pas de perdre, trois jours après, la bataille présidentielle.

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