Les affameurs18/04/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/04/une2072.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Les affameurs

Les émeutes de la faim qui se succèdent dans les pays pauvres commencent à faire réagir les dirigeants de ce monde. Mais leurs réactions renforcent encore l'écoeurement et la révolte devant les hausses de prix des produits alimentaires qui font basculer plusieurs centaines de millions de femmes, d'hommes et d'enfants de la sous-alimentation permanente dans la famine.

" Si les prix alimentaires continuent à augmenter, des centaines de milliers de personnes vont mourir de faim ". Celui qui parle ainsi est le nouveau patron du FMI, une des principales institutions du monde capitaliste, le pseudo-socialiste Strauss-Kahn. Ces gens-là savent tout mais ils ne font et ne feront rien, profiteurs ou serviteurs qu'ils sont d'un système économique où le profit privé est roi.

Ils savent, et le disent, que les hausses de prix actuelles sont dues aux capitaux spéculatifs qui, quittant l'immobilier en crise, se reportent sur les matières premières, le pétrole bien sûr mais aussi les produits alimentaires. Les prix du maïs, du riz, du blé ont doublé, voire plus. Pour les millions de personnes de par le monde pour qui l'une ou l'autre de ces denrées est l'aliment de base qui absorbe les neuf dixièmes de leurs maigres revenus, ces hausses de prix signifient une condamnation à mort. Les dirigeants savent cela, mais ils font pire que ne rien faire. C'est aux banques qu'ils sont en train de verser des dizaines de milliards pour les sauver de la faillite. Les banques et les groupes financiers peuvent continuer à spéculer, y compris sur le blé ou le riz. S'ils gagnent, c'est pour eux ! S'ils perdent, c'est pour les contribuables ! Et tant pis pour les masses déshéritées des pays pauvres !

La situation alimentaire des pays pauvres n'est pas devenue dramatique d'un seul coup. Ces pays sont poussés à abandonner les cultures vivrières au profit de productions susceptibles d'être vendues sur le marché mondial.

La dernière en date des folies meurtrières du système est la production d'agrocarburants. Avec la hausse des prix du pétrole, transformer le maïs ou la canne à sucre en carburants devient profitable. Une partie croissante de la production mondiale, plutôt que de nourrir les populations affamées, va remplir les réservoirs des voitures, et les poches des capitalistes de la filière ! L'universitaire suisse Ziegler parle à juste titre d'un " crime contre l'humanité ".

Mais ce crime a commencé bien avant qu'on invente les biocarburants : ce sont les gouvernements de la France coloniale qui ont, en leur temps, contraint les paysans tchadiens à produire du coton pour les usines textiles de Boussac, et les paysans sénégalais à produire de l'arachide pour Lesieur, au détriment des cultures vivrières pour eux-mêmes.

Aujourd'hui, il n'y a même plus besoin des contraintes d'un gouvernement colonial. Celles du marché mondial et la course au profit suffisent. Et on nous dit qu'il n'y a rien de mieux que ce marché inhumain, aveugle et brutal, pour diriger l'économie !

Si la production était organisée en fonction des besoins, et pas pour le profit, la planète aurait largement de quoi nourrir toute la population mondiale et faire face aux catastrophes naturelles.

Mais la véritable catastrophe pour l'humanité, c'est l'organisation capitaliste de l'économie et de la société.

Les hausses des prix alimentaires n'ont pour le moment des conséquences tragiques que dans les pays pauvres, mais elles pèsent déjà sur les classes populaires des pays industriels. Ceux qui se révoltent, de la Thaïlande à Haïti en passant par l'Afrique, ce sont nos soeurs, nos frères, une partie de nous-mêmes. Et qui oserait affirmer que leur sort n'est pas une préfiguration du nôtre ?

Le seul espoir pour l'humanité est que les révoltes des crève-la-faim finissent par déboucher sur un combat conscient pour mettre fin à un ordre économique qui permet à quelques-uns d'édifier des fortunes sur les cadavres de ceux qu'ils ont poussés à la famine.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 14 avril

Partager