L'Europe centrale dans l'espace Schengen : " Noël sans frontières " et nouveau rideau de fer.27/12/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/12/une2056.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

L'Europe centrale dans l'espace Schengen : " Noël sans frontières " et nouveau rideau de fer.

Le 21 décembre, neuf nouveaux pays ont été admis dans l'espace Schengen, une zone de libre circulation pour maintenant 400 millions d'Européens et 24 pays. Outre Malte, cet élargissement concerne des pays qui, il y a moins de vingt ans, appartenaient à ce qu'on appelait " les pays de l'Est ". Trois États baltes ex-soviétiques : Estonie, Lettonie et Lituanie ; et cinq pays issus des anciennes " Démocraties populaires " : Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie et Slovénie.

Inaugurant les festivités officielles, le Premier ministre slovaque et son homologue autrichien ont scié la barrière du poste frontalier de Berg-Petrzalka, sous un drapeau européen proclamant en slovaque : " Noël sans frontières ". Dix-huit ans après la chute du Mur de Berlin et trois ans et demi après l'entrée des pays d'Europe centrale dans l'Union européenne, leurs citoyens subissaient donc toujours un traitement discriminatoire de la part des puissances ouest-européennes. Les contrôles étaient, eux, quasi inexistants pour les ressortissants d'Europe de l'Ouest se rendant dans ces pays, alors qu'il n'y avait pas de réciprocité.

Mais c'en serait fini maintenant, nous dit-on. Certes, on circule désormais en voiture sans devoir s'arrêter aux frontières entre Lisbonne, au sud du continent, et Tallinn, capitale du plus nordique des pays baltes. Pour les habitants de la zone Schengen, c'est un avantage certain. Mais certainement pas la " réalisation historique unique " dont parle le président de la Commission européenne, Manuel Barroso.

D'abord, cette nouvelle levée des contrôles, et non pas la disparition des frontières, même dans la zone Schengen, ne peut sembler extraordinaire... que parce que notre continent reste morcelé en une mosaïque d'États au sein desquels l'économie et les peuples ont bien du mal à ne pas étouffer. Et puis il est abusif de prétendre qu'aurait enfin disparu le " rideau de fer ", vestige de la Guerre froide, qui dressait une sinistre barrière entre les peuples de l'ouest et de l'est de l'Europe. Il a juste été repoussé vers l'est, sur les nouveaux confins orientaux de la zone Schengen.

Dans ces régions, les peuples polonais, biélorusse, russe, ukrainien, hongrois, slovaque, baltes, rom, serbe, slovène, croate, etc., se sont, depuis des siècles, mélangés de part et d'autre de frontières fluctuantes. Et si, depuis des années, leurs membres circulaient relativement librement entre différents États, un espace Schengen élargi va leur rendre la chose bien plus difficile.

Quelque 19 millions d'Ukrainiens auraient, en 2006, franchi la frontière avec la Pologne. Ils allaient y travailler ou y vendre ce qu'ils pouvaient afin de survivre. La Pologne compterait ainsi près d'un million d'Ukrainiens sur son sol, dont la situation est devenue encore plus précaire depuis le 21 décembre.

Et même ceux des ressortissants russes, biélorusses, ukrainiens, serbes, croates, etc., qui seront encore autorisés à franchir les frontières nouvellement renforcées devront souvent le payer au prix fort : en obtenant un visa Schengen dont la délivrance par les consulats ouest-européens tient de la loterie autant que du parcours du combattant, au tarif, prohibitif pour beaucoup, de 35 à 60 euros !

Si la zone Schengen élargie lève certaines barrières entre les peuples, elle en a abaissé d'autres, pas aux mêmes endroits, mais pas plus justes pour autant. Dans un pays comme la Pologne, d'où deux millions de personnes ont choisi de partir pour chercher un travail, cet élargissement va sans doute faire qu'encore plus de travailleurs iront tenter leur chance à l'Ouest. Mais sans que des travailleurs encore plus pauvres venus d'Ukraine, de l'enclave russe de Kaliningrad sur la Baltique ou de Biélorussie aient désormais le droit de venir remplacer la main-d'oeuvre polonaise partie en Occident.

Bien sûr, certains continueront à tenter leur chance. Mais cette fois comme travailleurs sans papiers, après avoir dû affronter le passage clandestin de frontières hérissées de miradors, de détecteurs thermiques, de caméras à infrarouge... Car l'Union européenne a déboursé un milliard d'euros depuis 2000 pour dresser ces nouvelles barrières entre les peuples. " Des progrès remarquables ", dit-elle, ont été accomplis dans ce domaine. On a les " progrès " qu'on mérite !

Il y a d'abord le fichier policier SIS (système informatique Schengen), avec ses vingt millions de données sur les personnes déjà refusées dans l'espace Schengen ou recherchées, désormais utilisable en tout point d'entrée de cette zone. Il y a aussi le renforcement des moyens habituels de chasse aux immigrés. Ainsi, sur les cent kilomètres de montagnes entre la Slovaquie et l'Ukraine, on trouve des caméras tous les 180 mètres et quatre fois plus de policiers patrouillant en quads ou scooters des neiges que prévu ! Des centres de rétention y ont été ouverts pour les immigrés clandestins.

C'est cela l'Europe des bourgeoisies qui dominent le continent. Ce n'est certainement pas celle des peuples.

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