Michelin - Clermont-Ferrand : Prétendue transparence et secrets bien gardés07/12/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/12/une2053.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Michelin - Clermont-Ferrand : Prétendue transparence et secrets bien gardés

Depuis des mois, les publicités dans les journaux, magazines ou affiches se multiplient. Journées portes ouvertes, panneaux publicitaires aux entrées des usines, brochure spéciale de 116 pages : Michelin fait tout pour tenter de modifier son image mais sans pour autant rompre la discrétion qui s'attache à certaines périodes de son histoire.

Colonialisme d'hier... et d'aujourd'hui

À l'entrée de l'usine des Carmes, entièrement rénovée et où les ateliers ont disparu, se dresse un bâtiment tout en verre : une immense serre contenant diverses variétés d'hévéas. Pour le passant, derrière la transparence des façades apparaît un peu de ce paradis tropical qui fut un véritable enfer pour les paysans travaillant dans les plantations d'Asie, d'Amérique du Sud et d'Afrique.

C'est en Cochinchine que Michelin a développé vers 1920 ses deux premières grandes plantations, qui dépassaient 10 000 hectares, pour récolter le caoutchouc naturel, le latex, vite baptisé " or blanc ".

Dans ces vastes plantations, la direction et l'encadrement étaient uniquement assurés par des Français touchant des salaires confortables. Ils formaient des contremaîtres indochinois qui allaient chercher de la main-d'oeuvre jusque dans les villages les plus reculés du pays. De nombreux agents recruteurs promettaient des salaires mirobolants, qui au final se révélaient extrêmement faibles et dont un bonne partie était prélevée par nombre d'intermédiaires ; un racket qui a longtemps subsisté.

Par milliers des paysans étaient embarqués, même les malades, dans des bateaux pour Saïgon, puis dans des camions qui roulaient sur des pistes à peine praticables. Arrivés dans les plantations totalement épuisés, ils devaient immédiatement se mettre au travail.

Un système récompensait les bons " coolies " (nom donné aux travailleurs les plus pauvres d'Asie) qui n'avaient pas droit à des primes versées en argent, mais à des bonbons ou des cigarettes ! En revanche, ceux qui étaient jugés " paresseux ", étaient sanctionnés par des retraits sur leurs salaires. Des petits chefs à la mentalité infecte, vêtus de la tenue blanche et du chapeau rond des gros colons, maniaient le bâton sur le dos des coolies.

Les conditions de vie dans les plantations étaient tout aussi déplorables. Les habitations étaient de simples cases, sans sanitaires, sans eau courante, ni électricité. Les maladies parasitaires touchaient beaucoup de monde, alors qu'il n'y avait pratiquement pas de médecins, ni d'infirmières.

Aujourd'hui, au Brésil ou en Afrique, le système s'est modifié. Des cités ouvrières ont été construites autour des usines, comme en France dans les années 1920 ou 1930. Mais l'esprit colonial s'est, lui, maintenu.

Au Brésil, par exemple, Michelin a vendu par lots l'une de ses principales plantations à ses propres cadres. Ces derniers sont ainsi devenus propriétaires, imitant parfaitement leur ancien patron. Ils récupèrent tout ce qu'ils peuvent sur le dos des employés qu'ils exploitent durement, pour eux-mêmes et pour rembourser à Michelin ce qu'ils ont dû lui emprunter pour devenir petits patrons.

Voilà ce que Rollier, l'actuel dirigeant de la multinationale Michelin, appelle " une initiative progressiste et même révolutionnaire " !

Des bénéfices gonflés par les guerres...

Depuis la fin du 19e siècle jusqu'à nos jours, la fortune de la famille Michelin n'a cessé de croître, aidée en cela par de nombreuses commandes d'État et de non moins nombreuses amitiés politiques.

En 1915, Édouard Michelin, le grand-père, décida de se lancer dans la construction d'avions militaires : les Bréguet-Michelin. Les pilotes furent formés à Aulnat, l'une des toutes premières pistes en dur construites en Europe. Pour obtenir le terrain, Michelin fit exproprier les paysans et détruire leurs cultures.

Leur image étant dès l'origine dégradée, les frères Édouard et Marcel décidèrent de " rendre des services à la nation ". Pour ce faire, ils firent construire un hôpital pour soigner les blessés du front de Champagne. En fait, ils transformèrent un bâtiment de stockage en y installant des lits. Des milliers de soldats y furent certes soignés, pour être, à peine rétablis, renvoyés dans l'horreur des tranchées.

L'effort de guerre de Michelin ne se limita pas aux avions et à un hôpital. Il produisit toutes sortes de fournitures pour les armées : des tentes, des imperméables, des sacs de couchage, des fers à cheval, des roues en acier.

Les guerres actuelles sont encore des sources de profit pour l'entreprise, qui a obtenu en janvier 2007 un contrat de 1,7 milliard d'euros du gouvernement américain pour équiper pendant dix ans la totalité des véhicules de son armée !

... et les amitiés politiques

Si les ouvriers et les militants syndicaux n'ont jamais eu le droit d'exprimer leurs opinions politiques à l'intérieur des usines sans courir de gros risques, la direction a, quant à elle, toujours cultivé de bonnes relations avec les dirigeants politiques du pays, quels qu'ils soient.

De Gaulle fut reçu à deux reprises, en 1945 et en 1959, sur la place des Carmes. Mais il ne visita jamais l'usine et se contenta d'assister au démontage d'un pneu géant dans la cour !

Pompidou ne manqua pas, lui aussi, d'aller saluer Michelin, ce qu'il fit à chaque Salon de l'auto à Paris. Quant à Giscard d'Estaing en 1975, et à Mitterrand en 1984, ils ont tous deux posé pour la photo aux côtés de François Michelin.

Des sourires, des accolades pour faciliter les affaires. D'un côté un patron, de l'autre des VRP !

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