90 ans après la révolution d'Octobre 1917 : Une haine de la révolution qui n'a pas disparu.15/11/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/11/une2050.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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90 ans après la révolution d'Octobre 1917 : Une haine de la révolution qui n'a pas disparu.

La commémoration du 90e anniversaire de la révolution d'Octobre en Russie a donné lieu à une série d'articles et d'émissions dans les médias. Leur point commun : chercher à opposer la révolution de Février, qui renversa le tsarisme, à celle d'Octobre 1917, qui renversa la bourgeoisie au profit des soviets ouvriers et paysans. Avec en prime, souvent, la volonté de faire croire qu'il y aurait une continuité, sinon une identité entre le léninisme et le stalinisme. Cela sur fond d'hostilité généralement déclarée à tout ce qui peut évoquer une révolution sociale triomphante.

La plupart ont décrit Octobre 1917 comme une " révolution en trompe-l'oeil " (Le Figaro), un " étrange coup d'État " (Le Monde) perpétré par une minorité de bolcheviks. À les croire, la révolution d'Octobre serait " un grand mythe [qui relève] d'une réécriture soviétique de l'histoire " (Télérama, citant les auteurs du documentaire, 1917, la révolution russe diffusé par Arte).

Cette volonté de réduire la révolution d'Octobre à un coup de force minoritaire n'a rien à voir avec la réalité des faits, ni avec leur logique. Car, face à la formidable coalition de la bourgeoisie russe, de l'aristocratie et du corps des officiers blancs qui allaient déclencher la guerre civile, avec l'appui armé et financier des grandes puissances, comment une poignée de révolutionnaires aurait-elle pu s'emparer du pouvoir, et surtout le conserver, sans la participation active de millions d'ouvriers, de paysans, de déshérités ? Ce sont eux qui avaient abattu le tsarisme en Février. Et ce sont les mêmes, rejoints par d'autres, qui renversèrent le gouvernement provisoire issu de Février qui protégeait les intérêts de la bourgeoisie, pour instaurer leur propre pouvoir, celui des soviets.

L'art de ressusciter Lénine...

À cette question, pas un article, pas une émission n'a apporté de réponse. Aucun ne l'a d'ailleurs posée, car elle aurait jeté sur Octobre 1917 un éclairage qui n'a jamais été vraiment de mode.

S'il ne s'agissait que de juger du manque de sérieux de ces commentaires, il suffirait de rappeler comment, présentant un documentaire sur Trotsky, le supplément télévision du Monde a " informé " ses lecteurs. Lénine, y lisait-on, aurait expulsé Trotsky d'URSS... même si c'est Staline qui l'a fait, en janvier 1929, cinq ans après la mort de Lénine. Et cela alors que la plupart des compagnons de Lénine, qui avaient engagé la bataille contre le stalinisme, avaient été vaincus !

Pour certains commentateurs, mieux vaut ne s'embarrasser ni des faits, ni de la chronologie, quand il leur importe de tracer un trait d'égalité entre le bolchevisme et sa négation contre-révolutionnaire, le stalinisme.

... pour enterrer (à nouveau) les idéaux d'octobre.

Le documentaire déjà cité d'Arte sur 1917, présentant des images d'archives fort intéressantes sur la révolution russe, ne se bornait pas à exposer un point de vue hostile à celle-ci. En cela, sa relative neutralité tranchait sur la plupart des médias, qui ont soit passé sous silence l'événement, soit déversé sur lui des tombereaux de mensonges et de calomnies.

Dans le genre, le numéro d'octobre de la revue L'Histoire n'a pas fait dans la nuance. Sa une, titrant sur Les crimes cachés du communisme en prétendant s'appuyer sur des " archives inédites ", annonçait la couleur. Il s'agissait d'une resucée de mensonges aussi vieux que la révolution russe. Pour cela, cette revue a fait appel à des auteurs connus pour leur anticommunisme et certains pour leur passé stalinien, ce dont ils ne se vantent pas, alors que cela explique aussi leur aversion pour tout ce qui touche à la révolution.

Revendiquant ouvertement son but, dénigrer toute véritable révolution sociale, un " professeur émérite " de sciences politiques, Michael Winock, disait qu'il voulait dénoncer " la mécanique infernale qui, de la Révolution française à l'URSS de Staline, a conduit à la terreur ". Et un historien, Nicolas Werth, y expliquait, à propos de la guerre civile imposée par les anciennes classes dominantes au pouvoir soviétique, que " la terreur blanche ne fut jamais érigée en système (et) presque toujours le fait de détachements incontrôlés échappant à l'autorité militaire ou politique ". Il a " échappé " à ce monsieur que les massacres de Juifs les plus terribles commis en Europe avant le génocide hitlérien ont été le fait des contre-révolutionnaires blancs. Ou que le général blanc Kornilov, ayant échoué à noyer dans le sang Petrograd la rouge juste avant Octobre, avait ensuite déclaré : " Même si nous devons brûler la moitié de la Russie et tuer les trois quarts de sa population pour la sauver, nous le ferons. "

Au niveau du caniveau.

Mais même cela pourrait passer pour sérieux comparé au " récit " en trois épisodes que Le Monde a publié sur la révolution d'Octobre. L'auteur, un certain Jan Krauze, ne connaît visiblement rien à son sujet tant il accumule d'erreurs. Mais s'il mélange les époques sans le dire, invoque des témoins sans les nommer, cite des bobards sortis dont ne sait où, c'est dans un but précis : celui de nuire. Ainsi, prétend-il, Trotsky, comme d'autres bolcheviks, aurait vécu dans un domaine, celui du prince Ioussoupov, " avec suite de domestiques attenante ". Mieux, quand Trotsky parcourait le front dans son train blindé, il y aurait disposé, selon ce monsieur, " d'une cuisine de premier choix ". Comment cela aurait-il été possible, surtout en pleine zone de combat, dans une Russie où le ravitaillement, inexistant, se résuma à une question de vie ou de mort quotidienne durant des années ?

Ailleurs, il prétend que " Zinoviev traîne partout une ribambelle de prostituées " - en invoquant Gorki, alors terré à l'étranger car violemment hostile aux bolcheviks, avant de rallier Staline, ce que Krauze omet bien sûr de préciser. La haine le dispute tellement à la bêtise que même ses employeurs pourraient reprocher à ce monsieur de ne pas faire assez d'effort pour paraître crédible quand il ment.

Ce qui inspire Jan Krauze ou ses pareils, on le voit bien quand celui-ci s'indigne qu'après la prise du Palais d'Hiver, la " foule [...] s'abreuve de Château Yquem ", qui se trouvait dans les caves du tsar, mais pas que sa cour ait fait bombance quand le pays mourait de faim. Et lorsque, pour mettre fin à la beuverie " on - mais il ne précise pas que c'est le pouvoir bolchevik, car cela nuirait à sa démonstration - fait vider le vin dans la rue, les passants se mettent à boire dans le caniveau ". On retrouve, comme à chaque révolution, tout le mépris des possédants et de leurs larbins pour la population exploitée.

Que, malgré toutes ses difficultés, la Russie soviétique ait représenté un immense espoir pour les opprimés du monde entier - ce dont témoignait le film Reds diffusé le 11 novembre sur Arte -, que la révolution d'Octobre ait fait faire un immense pas en avant, socialement et économiquement, à une Russie qui comptait plus de 80 % d'illettrés avant 1917, la plus élémentaire honnêteté exigerait de le reconnaître.

Mais il ne faut pas trop demander à des gens qui, quatre-vingt-dix ans après la révolution d'Octobre, ne cessent d'enterrer le communisme, de crainte qu'un jour les exploités du monde entier n'y voient à nouveau un drapeau : celui d'un avenir débarrassé de l'exploitation et de l'injustice de classe.

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